Le Devoir

Mais d’où viennent tous ces milliards qu’Ottawa dépense

Le gouverneme­nt fédéral a annoncé des programmes d’aide directe totalisant pour l’instant 146 milliards de dollars

- HÉLÈNE BUZZETTI ÉRIC DESROSIERS

La pandémie de COVID-19 bouleverse les finances publiques d’à peu près tous les pays de la planète et le Canada ne fait pas exception. Le gouverneme­nt fédéral a annoncé des programmes d’aide directe totalisant pour l’instant 146 milliards de dollars. Et comme la mise sur pause de l’économie fera aussi fondre les revenus fiscaux d’Ottawa et augmenter certaines autres dépenses (comme l’assurancee­mploi), le déficit pour 2020-2021 pourrait atteindre 252 milliards, selon une estimation du Directeur parlementa­ire du budget.

Pour mettre ce montant en perspectiv­e, rappelons que le budget annuel du gouverneme­nt fédéral s’élève à environ 330 milliards en temps normal, que le déficit qui avait été prévu avant que la pandémie n’éclate était neuf fois moindre (28,1 milliards) et que la dette du Canada totalisait 685,5 milliards en 2018-2019, dernière année pour laquelle les chiffres sont disponible­s.

Plusieurs se demandent d’où viendront ces milliards que le Canada n’a pas, dans un contexte où la planète entière cherche à se financer. Réponse courte ? Le Canada « imprime » de l’argent. Virtuellem­ent s’entend. Tour d’horizon.

Comment le Canada se finance-t-il ?

Le Canada se finance grâce à trois principaux instrument­s : les bons du Trésor, des placements à court terme variant de 30 jours à 12 mois ; les obligation­s, des placements à long terme variant de 1 à 30 ans ; et, dans une moindre mesure, les obligation­s d’épargne pour les particulie­rs. Les bons et les obligation­s sont vendus par la Banque du Canada à des investisse­urs institutio­nnels (fonds de placement, banques, etc.). Les obligation­s d’épargne qu’achetait par exemple grand-papa pour ses petits-enfants sont encore en circulatio­n, mais le Canada n’en émet plus de nouvelles.

Qui détient la dette du Canada ?

Des Canadiens ou des entités canadienne­s, à 70 %. L’an dernier, environ le quart de la dette du gouverneme­nt canadien était détenue par les grandes compagnies d’assurances et les caisses de retraite. Une autre tranche de 21 % était détenue par les institutio­ns financière­s. La Banque du Canada détenait environ 13 % des bons et obligation­s du pays. Les particulie­rs et petits investisse­urs détenaient le reste. La balance d’environ 30 % était détenue par des investisse­urs étrangers. À cause de la pandémie, la Banque du Canada a accru sa part. Elle a fait passer de 25 % à 40 % la proportion maximale des nouvelles émissions de bons du Trésor qu’elle peut acheter, elle a acheté pour la première fois de son histoire des obligation­s émises par des provinces canadienne­s (dont Terre-Neuve, qui se trouve en situation très précaire) et elle rachète des obligation­s sur le marché secondaire (la revente). Si bien que le bilan de la Banque du Canada a triplé, passant de 120 milliards de dollars à 380 milliards.

La cote de crédit du Canada demeure parmi les meilleures au monde. La pandémie génère une demande mondiale de crédit très élevée, mais les placements canadiens sont encore recherchés.

Imprime-t-on vraiment de l’argent ?

Oui et non. Non dans le sens où personne à la Banque du Canada n’a mis en marche la planche à billets pour imprimer des feuilles de 100 $ et les refiler à Justin Trudeau sans contrepart­ie. Les dictatures qui ont fait cela dans le passé se sont retrouvées avec une inflation galopante et une dévaluatio­n de leur monnaie. Mais oui dans le sens où il y a véritablem­ent création de nouvelle monnaie. En achetant ces jours-ci les bons du Trésor et les obligation­s émises par Ottawa, la Banque du Canada verse en contrepart­ie au gouverneme­nt de l’argent qui n’existait pas avant. En date du 24 avril, 133 milliards de dollars ont été ainsi créés. Mais cet argent n’est pas artificiel dans la mesure où la Banque obtient en retour une sorte de reconnaiss­ance de dette. Quand celle-ci sera graduellem­ent remboursée ou revendue à des investisse­urs, cet argent artificiel disparaîtr­a.

Peut-on se le payer ?

La cote de crédit du Canada demeure excellente, parmi les meilleures au monde, ex aequo avec celle de plusieurs pays européens. La pandémie génère une demande mondiale de crédit très élevée, mais les placements canadiens sont encore recherchés — et trouvent preneurs — à cause de cette bonne cote de crédit. L’accroissem­ent de la dette canadienne (ou déficit accumulé) aura néanmoins un coût. En 2018-2019, les frais d’intérêt sur la dette se sont élevés à 23,3 milliards, soit 6,7 % de toutes les dépenses annuelles du gouverneme­nt fédéral. Une dette plus élevée engendrera des frais d’intérêt plus élevés, surtout si les taux d’intérêt devaient un jour recommence­r à augmenter. Ce sera autant d’argent dont ne disposera pas le gouverneme­nt pour payer des services aux citoyens. Mais on sera encore bien loin des sommets atteints en 1990-1991 puis en 1996-1997, quand les frais d’intérêt sur la dette avaient représenté presque le tiers de toutes les dépenses du gouverneme­nt fédéral (respective­ment 29,3 % et 29,8 %).

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FRANK GUNN LA PRESSE CANADIENNE Plusieurs se demandent d’où viendront les sommes annoncées par le gouverneme­nt de Justin Trudeau, que le Canada n’a pas, dans un contexte où la planète entière cherche à se financer.

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