Confusion virale
Des élus inquiets de l’effet des directives contradictoires
La nouvelle directive selon laquelle les personnes de 60 à 69 ans ne courent pas de risques particuliers par rapport à la COVID-19 a semé la confusion mercredi. Mais ce n’est là qu’un élément de plus dans un portrait général qui semble de moins en moins clair, dénoncent plusieurs élus inquiets que l’accumulation des incohérences n’entraîne une démobilisation de la population.
Ainsi donc, après avoir répété pendant des semaines que toutes les personnes de plus de 60 ans étaient particulièrement à risque de développer des complications, le gouvernement Legault a voulu mercredi « clarifier l’information » sur les facteurs de risque associés à l’âge.
« En bas de 70 ans, a indiqué la vicepremière ministre, Geneviève Guilbeault, les gens peuvent retourner travailler, sans risque important pour leur santé, à condition de respecter les consignes de distanciation, d’hygiène. »
Or, le premier ministre Legault affirmait pas plus tard que lundi que « les enseignants qui ont plus de 60 ans, on leur demande de ne pas venir à l’école ».
Des exemples de ce type de messages contradictoires, de changements d’avis ou de directives discordantes, il y en a eu beaucoup récemment. Trop, aux yeux des trois partis d’opposition à Québec, qui économisent les critiques depuis le début de la crise — mais pas sur cet enjeu.
« Dans les dernières semaines, on a noté beaucoup d’incohérences et d’interprétations différentes, même de la part de différents ministres à l’intérieur du gouvernement, relève le député libéral André Fortin, critique en santé. Et [les 60-69 ans], c’est le comble de la confusion. »
« Le message gouvernemental a été très clair et cohérent au début de la crise, note Gabriel Nadeau-Dubois, coporte-parole de Québec solidaire. Tout le monde l’a reconnu et ça explique pourquoi les gens ont si bien modifié leurs habitudes. Mais depuis au moins deux semaines, ça a complètement changé. Le message devient de plus en plus difficile à suivre pour les gens. »
La députée péquiste Véronique Hivon souligne que ces dissonances ne sont pas sans conséquence, d’autant que le Québec entame un déconfinement dont le succès dépendra du respect de plusieurs directives. « Dans une situation de crise, la constance et la transparence sont des facteurs clés pour créer la confiance et l’adhésion, rappelle-t-elle. Et c’est ce qui s’effrite présentement. »
Des exemples
Entre autres exemples de friture sur la ligne, les trois élus évoquent tous la directive sur les rassemblements extérieurs. Le décret dit bien que ceux-ci sont permis « lorsqu’une distance minimale de deux mètres est maintenue entre l’ensemble des personnes », sauf si elles habitent à la même adresse.
Le 29 avril, Geneviève Guilbeault disait pourtant que « les rassemblements intérieurs, extérieurs demeurent interdits ». Mais dans le même point de presse, elle modulait un peu. « Ce qu’on dit, c’est : évitez autant que possible de vous rassembler. »
Le lendemain, François Legault tentait de couper court à une « espèce de débat » sur cette question en disant qu’ au-delà de l’interprétation des lois, là, on n’en veut pas, de rassemblement ».
Un journaliste a voulu clarifier le tout mardi. Peut-il, oui ou non, « inviter des amis dans [sa] cour si on garde nos chaises à deux mètres » ? Le directeur national de santé publique, Horacio Arruda, a alors offert une longue réponse qui exprimait certes sa crainte de voir ce genre de rassemblement, mais qui ne répondait jamais à la question.
« Écoutez, comme je vous l’ai dit, là, actuellement, pas encore, mais ça s’en vient. Si vous me permettez, on veut y aller par étapes. On veut éviter les rassemblements, O.K. ? »
Masque, pas masque ?
La question de l’utilité de porter un masque a aussi donné du fil à retordre. Le 18 mars, M. Arruda disait que « porter un masque, c’est mettre sa main souvent pour ajuster le masque, et on se contamine. Les masques, c’est pour le système de soins ».
Mais le 6 avril, il reconnaissait que « ça peut être un moyen » de protection pour le public. Pas question de le recommander formellement, toutefois. Le débat a continué jusqu’au 30 avril, quand François Legault a dit que, « si jamais on pense qu’on n’est pas capables de respecter les deux mètres, il faut se mettre un masque ». C’est même « un élément de l’étiquette respiratoire », ajoutait M. Arruda.
La fiabilité du concept d’immunité naturelle a elle aussi varié au fil des points de presse. « Les personnes qui sont moins à risque, donc les personnes de moins de 60 ans, bien, il peut y avoir une immunité naturelle qui va empêcher une vague », soutenait M. Legault le 23 avril.
Quatre jours plus tard, il reconnaissait qu’« on n’a pas de preuve que ça fonctionne » et mettait de côté cet argument pour justifier le retour en classe.
La réouverture des régions a également été teintée de flou. Le 29 avril, Mme Guilbeault annonçait la levée graduelle des barrages routiers pour certaines régions « fermées », cela dans le but de « permettre les déplacements entre ces régions-là ». Mais elle prévenait du même souffle qu’« éviter des déplacements superflus d’une région à l’autre fait partie des consignes que nous demandons aux Québécois de respecter ». Régions ouvertes, donc… mais où il ne faut pas circuler.
Le problème avec tout cela, relève le député Fortin, c’est que « la confusion peut mener à la démobilisation. S’il n’y a pas de message clair, les gens vont se permettre certaines libertés ». Ou même se mettre à « douter des motivations du gouvernement », ajoute Gabriel Nadeau-Dubois.