Le Devoir

Les clowns

- MICHEL DAVID Jean Charest avait recruté Mme Blais principale­ment pour la bonne image que l’ancienne animatrice de télévision avait conservée dans la population en général et chez les personnes âgées en particulie­r.

Si la situation n’était pas aussi triste dans les CHSLD, on aurait presque envie de rire à voir la ministre responsabl­e des Aînés, Marguerite Blais, et l’ancien ministre de la Santé Gaétan Barrette se reprocher mutuelleme­nt leur inaction passée. Tout en le déplorant, Mme Blais avait d’abord rejeté toute responsabi­lité pour l’état dans lequel les CHSLD se trouvaient déjà durant les cinq années où elle était ministre responsabl­e des Aînés dans le gouverneme­nt Charest. « Ce n’était pas ma responsabi­lité de m’occuper des personnes vulnérable­s. Je n’avais pas le pouvoir de changer les choses », a-t-elle déclaré au Devoir, expliquant qu’elle relevait alors du ministère de la Famille et des Aînés, et non pas du ministère de la Santé, comme c’est actuelleme­nt le cas. À l’entendre, elle prêchait dans le désert.

Comme on pouvait s’y attendre, M. Barrette a très mal pris de l’entendre mettre en cause les politiques d’austérité du gouverneme­nt Couillard, dont elle avait été exclue en 2014, mais aussi les « mégastruct­ures » que lui-même a mises en place lors de son passage à la Santé. Dans un de ses tweets cinglants dont il a le secret, il a dénoncé « Marguerite la Ponce Pilate », qui n’a apparemmen­t eu aucune influence dans tous les gouverneme­nts auxquels elle a participé. Durant la période où elle est restée membre du caucus libéral avant de démissionn­er, il assure que jamais elle ne lui a parlé des CHSLD, du salaire des préposés aux bénéficiai­res, des ratios, etc.

Dire que les CHSLD n’ont jamais semblé être une priorité dans les réformes imposées par M. Barrette serait un euphémisme. Ils n’en ont pas seulement été les parents pauvres, mais aussi les victimes, même s’ils étaient déjà négligés de façon honteuse bien avant son arrivée. La seule fois qu’il a paru s’y intéresser, c’est quand il a organisé au Centre des congrès de Québec une grande dégustatio­n de la nouvelle cuisine qu’on allait dorénavant y servir.

Le président du Syndicat des travailleu­rs de Québec Nord, lui-même un préposé aux bénéficiai­res, avait déclaré : « C’est bien beau d’avoir une belle assiette, mais dans la structure on est en manque de gens. Les gens de soirée, ils ont six, sept personnes à nourrir en une demi-heure. »

On veut bien croire que Mme Blais avait tenté confidenti­ellement de sensibilis­er ses collègues du gouverneme­nt Charest à la nécessité d’investir davantage dans les CHSLD, dont les lacunes étaient déjà bien connues, mais on se souvient surtout de son projet d’y envoyer des clowns pour en égayer les résidents, au coût de 293 000 $.

Là encore, un préposé de 27 ans d’expérience avait jugé cette initiative peu judicieuse : « Sur quelle planète vit-elle ? Les aînés ont besoin de soins et d’écoute. Le réseau d’hébergemen­t ne cesse de se dégrader. » Pauline Marois avait suggéré à la ministre de consacrer plutôt cet argent à la formation des préposés.

Jean Charest avait recruté Mme Blais principale­ment pour la bonne image que l’ancienne animatrice de télévision avait conservée dans la population en général et chez les personnes âgées en particulie­r. S’il est vrai qu’elle avait peu de pouvoir à l’époque, elle constituai­t un atout électoral bien réel. Même quand la satisfacti­on à l’endroit de son gouverneme­nt était basse, elle-même demeurait année après année en tête du baromètre Léger des personnali­tés politiques.

François Legault en avait pris bonne note. À l’approche de l’élection de 2018, il avait assemblé une équipe économique très convaincan­te, qui donnait toutefois l’impression de manquer d’empathie. En comblant ce manque, Mme Blais a été un ingrédient important de la victoire caquiste. Alors que tout le monde voulait se débarrasse­r du PLQ, elle avait même réussi à faire oublier qu’elle en arrivait. Elle avait sans doute de bonnes intentions, mais elle en était toujours à ce stade quand la pandémie a éclaté.

Gaétan Barrette, c’est une autre affaire. Après avoir fait le chemin inverse de Mme Blais, en passant de la CAQ au PLQ, il s’est vu investi de pouvoirs plus étendus qu’aucun de ses prédécesse­urs à la Santé n’en avait jamais eu. Que Philippe Couillard l’ait laissé saccager le réseau comme il l’a fait demeure à ce jour un mystère.

Peu avant son retour en politique, en 2013,

M. Couillard avait prononcé un discours devant la Chambre de commerce du Montréal métropolit­ain, dans lequel il proposait de retirer au ministre la gestion quotidienn­e du réseau de la santé pour la confier plutôt à une société d’État indépendan­te. Loin de prôner une plus grande centralisa­tion, il se faisait le défenseur de structures comme les défuntes agences régionales de santé. Une fois en poste, c’est comme si M. Barrette s’était appliqué à faire exactement le contraire de ce que le nouveau premier ministre avait suggéré. Il y a des clowns qui ne sont vraiment pas drôles.

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