Le Devoir

Un proche ou un étudiant pour garder vos enfants

Cette suggestion du ministre de la Famille soulève un tollé

- MARCO BÉLAIR-CIRINO CORRESPOND­ANT PARLEMENTA­IRE À QUÉBEC Avec Guillaume Lepage

Le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, s’est attiré les critiques acérées de parents après avoir invité les utilisateu­rs des services de garde éducatifs à l’enfance à faire garder leurs enfants à la maison par un « proche » ou encore un « étudiant » afin d’atténuer la pénurie de places qu’il appréhende.

« Si vous pouvez garder vos enfants à la maison, ce serait une bonne idée de le faire parce qu’évidemment, on ne pourra pas accueillir tout le monde », a-t-il lancé en commission parlementa­ire mercredi. « Si vous connaissez quelqu’un qui peut venir faire de la garde à domicile, on vous encourage aussi à le faire, c’est possible, c’est permis. […] On peut faire appel à un proche. On peut faire appel à un étudiant, par exemple, du secondaire qui aurait du temps », a-t-il ajouté.

Rapidement, les réactions, notamment de parents et de grands-parents, ont fusé sur la toile. « Le message du gouverneme­nt est de plus en plus confus », déplorait l’un d’eux. « Ils ne savent plus quoi dire ! Une journée, c’est blanc, le lendemain c’est noir », a fustigé un autre.

« Ça n’a pas de bon sens », lance de son côté Marie De Lafontaine, maman d’une petite fille de deux ans et demi installée à Sainte-Foy. « Depuis des semaines, le gouverneme­nt nous dit que les personnes âgées ne peuvent pas voir leurs petits enfants. Et tout d’un coup, ce n’est plus grave », ajoute-t-elle au bout du fil, se désolant de voir l’économie l’emporter sur la santé des personnes âgées.

L’appel du ministre Lacombe survenait à cinq jours de l’ouverture partielle des centres de la petite enfance (CPE), des services de garde en milieu familial et des garderies privées au Québec, sauf dans le Grand Montréal et dans la municipali­té régionale de comté (MRC) de Joliette, aux prises avec une éclosion.

12 enfants sur 27 ont contracté le nouveau coronaviru­s, en plus de quatre employés, dans une garderie de Mascouche destinée à des enfants de travailleu­rs essentiels, a constaté le directeur régional de santé publique de Lanaudière, Richard Lessard. Celui-ci a aussi indiqué que les services de garde dans l’agglomérat­ion de Joliette ouvriront leurs portes le lundi 18 mai, comme ceux qui sont situés dans la métropole.

Le ministère de la Famille a aussi demandé aux CPE d’accueillir entre 30 % et 50 % des enfants qui sont inscrits dans leur établissem­ent. « S’il y a seulement 30 % de vos parents, par exemple, qui souhaitent y avoir accès, on va compenser le manque à gagner, parce qu’on souhaite que vous gardiez les plus petits groupes possible. Par contre, si la demande le justifie et que vous êtes prêts, vous pouvez effectivem­ent aller entre 30 % et 50 % de votre capacité, ça respecte les recommanda­tions de la santé publique », a expliqué M. Lacombe.

C’est « la chronique d’une crise annoncée », a laissé tomber la députée péquiste Véronique Hivon. Elle presse le gouverneme­nt caquiste de garantir à tout le moins une place dans un service de garde à tous les profession­nels de la santé.

Un grand-parent pourrait assurer la garde d’enfants de travailleu­rs incapables d’envoyer leur enfant dans le service de garde où il est inscrit à condition qu’il revête l’équipement de protection individuel­le approprié, a poursuivi M. Lacombe lors d’un point de presse virtuel. Cela dit, « ça dépend de l’âge [du grand-parent] ».

Les directives du directeur national de santé publique, telles que la « distanciat­ion sociale » de deux mètres entre les personnes et le lavage fréquent des mains, doivent aussi être scrupuleus­ement respectées, a mentionné l’élu.

Le ministre de la Famille expose des grands-parents à un « risque » indu, ont dit tour à tour les députés solidaire Christine Labrie et libérale Jennifer Maccarone.

Risques revus à la baisse

De son côté, la vice-première ministre, Geneviève Guilbault, a annoncé mercredi que les éducateurs en service de garde et les enseignant­s de moins de 70 ans pourront « reprendre le travail dès la semaine prochaine » — sauf dans la métropole — « à condition de respecter les consignes de la Santé publique ». « La Santé publique a établi le facteur de risque à 70 ans et non à 60 ans. Le risque de développer des complicati­ons est plus important à partir de 70 ans. »

Rivée à son écran, la députée de Joliette, Véronique Hivon, a bondi. S’agit-il d’une « nouvelle orientatio­n de la santé publique ou d’une nouvelle orientatio­n politique compte tenu de la grave pénurie d’éducatrice­s et d’enseignant­es ? », a-t-elle demandé.

Des dirigeants syndicaux sont montés aux barricades. « Sur quelles études scientifiq­ues se base la Direction de la santé publique du Québec pour modifier sa propre recommanda­tion et qui fait que des personnes [âgées de plus de 60 ans] qui étaient à risque il y a cinq jours ne le sont plus aujourd’hui ? », a demandé le président de la Fédération autonome de l’enseigneme­nt (FAE), Sylvain Mallette.

Même si Québec lui en donne désormais le droit, Marie De Lafontaine hésite à confier sa fille à sa mère, âgée de 66 ans. « Je ne veux pas la mettre en danger », souffle-t-elle.

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MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Les services de garde risquent d’être incapables de répondre à la demande des parents qui seront de retour sur le marché du travail.

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