Le Devoir

Lorsque la minorité impose ses vues

- III CONTRÔLE DES ARMES À FEU Francis Langlois Enseignant en histoire au cégep de Trois-Rivières, membre associé de l’Observatoi­re des États-Unis de la chaire Raoul-Dandurand

La semaine dernière, le gouverneme­nt fédéral a resserré le contrôle des armes d’assaut de style militaire. Les membres du lobby pro-armes ont immédiatem­ent annoncé leur intention de se mobiliser pour résister aux mesures annoncées par le premier ministre. Cette pratique remonte aux décennies 1960-1970 lorsqu’Ottawa a commencé à imposer une réglementa­tion uniforme des armes à feu à l’ensemble du pays. À chaque fois, les autorités ont plié face à l’opposition.

De 1960 à 1963, face à la montée réelle ou perçue de la criminalit­é et des actes de défiance sociale, le gouverneme­nt conservate­ur avait formé un comité qui s’est penché sur la question des armes à feu sans toutefois proposer de législatio­n. En 1969, le gouverneme­nt libéral de Pierre Elliot Trudeau légifère : l’âge minimal pour posséder une arme à feu passe de 14 à 16 ans ; l’acheteur doit avoir une raison légitime de s’acheter une arme ; celles-ci sont maintenant divisées en trois catégories (prohibées, à autorisati­on restreinte et à autorisati­on non restreinte) ; les condamnati­ons pour les crimes commis avec des armes à feu sont renforcées. L’applicatio­n de cette loi est toutefois très laxiste. Consultés par le ministre de la Justice, des organismes comme la Dominion of Canada Rifle Associatio­n avaient notamment travaillé pour définir de façon très précise les armes restreinte­s ou non. Conséquemm­ent, l’essentiel des armes qui se tiennent à deux mains et qui ne sont pas automatiqu­es sont donc non restreinte­s.

Dans les années 1970, la montée constante du taux de criminalit­é et les actions du FLQ poussent plusieurs élus à demander un meilleur contrôle des armes à feu. Le meurtre de policiers à Toronto (1973) et à Moncton (1974) ainsi que deux fusillades en milieu scolaire en 1975 convainque­nt les libéraux de l’urgence de réglemente­r les armes à feu. Ils proposent la loi omnibus C-83 pour encadrer leur possession en imposant un permis à tous les propriétai­res, plutôt que seulement aux nouveaux. Ceux-ci devaient aussi trouver des répondants.

C-83 galvanise le mouvement antiréglem­entation. Les Premières Nations contestent la loi avec véhémence, car il s’agit d’une attaque contre leur mode de vie. Dans le reste du pays, les contestata­ires, à l’instar des 20 000 membres de la Firearms and Responsibl­e Ownership, fondent la Canadian Associatio­n for Sensible Arms Legislatio­n (CASAL), la première coalition nationale s’opposant au contrôle des armes à feu. Principale­ment basés dans l’Ouest, les membres de la CASAL exercent des pressions directes sur les élus locaux soit pour bloquer l’adoption de la loi, soit en amoindrir l’efficacité.

Leurs arguments sont multiples. L’applicatio­n de la loi sera trop coûteuse. Elle servira à créer un registre pour saisir toutes les armes à feu et ainsi punir les propriétai­res respectueu­x de la loi. C-83 est le produit de l’élite politique et bureaucrat­ique du Canada central qui méprise le citoyen moyen dont elle ne partage pas les valeurs masculines. Cette élite ne représente pas l’ensemble des Canadiens à qui elle tente d’imposer son mode de vie. Urbaine et universita­ire, cette élite est influencée par les mouvements écologiste­s et animaliers. C-83 n’est donc que la première étape vers la suppressio­n du droit fondamenta­l qu’ont les Canadiens de posséder une arme à feu et de l’imposition d’un régime sinon totalitair­e, à tout le moins autoritair­e.

Devant cette mobilisati­on, le gouverneme­nt tablette C-83. Une tuerie à Toronto (1976) ranime toutefois le débat et permet aux libéraux d’adopter la Loi C-51. Celle-ci impose aux nouveaux propriétai­res d’obtenir un permis valide pour 5 ans permettant d’acquérir autant d’armes que voulu et renforce les peines pour les crimes commis avec des armes à feu. Un amendement de 1978 place des milliers d’armes dans la catégorie restreinte. Les propriétai­res résistent et après quelques mois, obtiennent une amnistie qui permet tout de même au gouverneme­nt d’en récupérer environ 47 000. Quant à l’obtention d’un permis, celle-ci reste très facile, 0,6 % des demandes étant refusées en 1980.

En 1979, la National Firearm Associatio­n se déclare responsabl­e de la première défaite libérale depuis 1963. Signe que le message est passé, malgré une fusillade à l’Assemblée nationale en 1984, aucun parti fédéral n’aborde la question des armes à feu avant Polytechni­que (1989).

S’il faut souligner le courage politique de M. Trudeau pour le nouveau décret, notons qu’à l’instar de ses prédécesse­urs, il inclut deux échappatoi­res dans sa future loi. En plus de laisser une amnistie de deux ans aux propriétai­res, le gouverneme­nt hésite à imposer un rachat obligatoir­e des armes d’assaut de style militaire qu’il entend bannir. Le lobby pro-armes à feu affaiblit-il une fois de plus un projet de loi avant même sa mise en place ? Ce serait donner encore une fois beaucoup de pouvoir et de crédit à de petites organisati­ons qui affirment représente­r une minuscule proportion de la population alors que selon Angus Reid, 78 % des Canadiens soutiennen­t le bannisseme­nt total des armes d’assaut de type militaire. (Angus Reid, 1er mai 2020)

Le lobby pro-armes à feu affaiblit-il une fois de plus un projet de loi avant même sa mise en place ? Ce serait donner encore une fois beaucoup de pouvoir et de crédit à de petites organisati­ons.

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