Le Devoir

Quel rôle l’ONF doit-il jouer pendant la pandémie ?

L’ex-président de l’Office national du film appelle l’organisme à réagir à la crise. Le président actuel répond que, pour ce faire, il faut du recul.

- NATALIA WYSOCKA

Je suis sûr que le fondateur, John Grierson, aurait été une présence visible pendant cette pandémie. Il aurait été un personnage, comme Winston Churchill. TOM PERLMUTTER

« Nous sommes au milieu d’un événement cataclysmi­que sans précédent. Que peut faire une institutio­n culturelle comme l’ONF [Office national du film] pour faire la différence ? » Dans une lettre ouverte envoyée mercredi, Tom Perlmutter dit sa déception face à ce qu’il considère comme une inaction de l’organisme dont il a été président de 2007 à 2014.

Qu’est-ce que « l’ONF a à dire aux Canadiens en situation de confinemen­t, vivant dans l’incertitud­e et soucieux de leur avenir physique et économique ? » demande-t-il plus loin. Sa réponse est on ne peut plus directe : « Rien. »

« Rendez-vous sur le site de l’ONF ou sur sa chaîne YouTube, et vous aurez l’impression de vous replonger dans un pays imaginaire anodin aux allures des années cinquante, écrit-il. La pandémie qui touche chacun de nous n’existe pas là-bas. »

Entré à l’Office national du film à titre de directeur de programme anglais en 2001, M. Perlmutter a notamment instauré la plateforme de webdiffusi­on onf.ca. Le fait de ne pas y voir plus de références aux événements récents le trouble. « Avec la culture, ce qui est important, c’est de répondre à ce qui se passe autour de nous, explique-t-il au bout du fil. Ça me déchire que l’ONF ne joue pas un rôle plus important en ce moment. »

Président actuel de l’organisme, Claude Joli-Coeur réplique que l’ONF continue sa mission. Qu’entre le 13 mars et le 28 avril, 15 films ont été mis en développem­ent et 15 autres ont atteint l’étape de la production. Mais, selon lui, la couverture de la crise au quotidien, elle, demeure l’apanage des médias. « Les gens sont confinés. Ils vivent une détresse, ils sont inquiets, ils font face à des enjeux économique­s et ils sont bombardés d’informatio­n sur la pandémie par des réseaux d’informatio­n en continu, énumère-t-il. Notre contenu, nous l’amenons dans une perspectiv­e de réflexion sur la société canadienne. Et pas uniquement sur la COVID-19. »

C’est dans cette optique, rappelle-til, que l’ONF a rendu ses ressources d’apprentiss­age en ligne gratuites pour les enfants et les enseignant­s. L’achalandag­e du site a triplé à 25 000 visionneme­nts par jour.

Ce n’est pas le contenu en ligne qui constitue un souci, estime pour sa part Tom Perlmutter. « Il y a toujours des choses intéressan­tes sur le site, les films tels quels. Mais c’est dans les moments de crise que l’ONF devrait

réellement être là pour faire des choses que les autres organismes ne peuvent pas faire. Ce qui me frappe, c’est qu’il y a de petites sociétés, des individus qui font tant de choses avec peu de moyens. À l’ONF, je ne vois pas ça. »

L’ex-président propose des idées. Un appel aux Canadiens à envoyer de courtes vidéos sur leur vie pendant la pandémie. Une plateforme pour partager leurs histoires. Des courts métrages d’animation pour véhiculer les messages importants sur la distanciat­ion sociale, l’autoisolem­ent, le lavage des mains.

Du côté de l’ONF, on répond que ce type de vidéos relève davantage de la Santé publique. « C’est vrai qu’à l’époque où l’ONF était le seul média qui existait, il y aurait eu de tels projets, concède M. Joli-Coeur. Mais il y a tellement de production de contenu lié aux questions de salubrité en ce moment que l’on ne pourrait même pas s’inscrire là-dedans. »

L’influence de Grierson

C’est avec passion que Tom Perlmutter évoque les débuts de l’organisme culturel né en 1939. « Je suis sûr que le fondateur, John Grierson, aurait été une présence visible pendant cette pandémie. Il aurait été un personnage, comme Winston Churchill. Il aurait inspiré les gens, les aurait intéressés à la création. »

Claude Joli-Coeur aussi pense à John Grierson. « Il est une source d’inspiratio­n pour tous les employés de l’ONF. Reste qu’on s’inscrit aujourd’hui dans un écosystème extrêmemen­t chargé. Nous ne pouvons pas aborder notre rôle de la même façon qu’on le faisait dans les années où Grierson était commissair­e, de 1939 à 1945. »

M. Perlmutter n’est pas d’accord. Il aimerait voir maintenant, pas dans quelques mois, des histoires du quotidien des Canadiens. « Des héros oubliés. » « Des histoires qu’on ne voit pas ailleurs. »

Il mentionne le site Web thelocal.to, à Toronto, qui livre des récits du confinemen­t. Sur cette ado habituelle­ment studieuse qui a perdu sa motivation. Cette mère qui n’a pas accès à Internet et qui ne sait comment enseigner à ses filles alors que les bibliothèq­ues sont fermées. « Quand je veux voir ce qui se passe dans le pays, je dois aller sur YouTube ou sur toutes sortes d’autres sites, dit Tom Perlmutter. Ce n’est pas vers l’ONF que je vais, parce que ça n’y existe pas. »

Ça n’existe pas encore, réplique Claude Joli-Coeur. Pour faire du cinéma, il faut du recul, explique-t-il. « Nous ne sommes pas dans l’instantané. Nous ne voulons pas nous noyer dans une avalanche d’informatio­n. Les oeuvres que nous développon­s auront une pérennité. Parce qu’elles auront une perspectiv­e. »

 ?? SOURCE OFFICE NATIONAL DU FILM ?? John Grierson (à droite) examine des affiches produites pour la Commission de l’informatio­n en temps de guerre, en 1944. «Grierson et l’ONF ont été infatigabl­es au service des Canadiens » pendant les années de guerre, souligne la lettre de Tom Perlmutter.
SOURCE OFFICE NATIONAL DU FILM John Grierson (à droite) examine des affiches produites pour la Commission de l’informatio­n en temps de guerre, en 1944. «Grierson et l’ONF ont été infatigabl­es au service des Canadiens » pendant les années de guerre, souligne la lettre de Tom Perlmutter.

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