Le Devoir

La pandémie comme écran de fumée

Bolsonaro profite de la crise pour poursuivre son plan de développem­ent aux dépens des indigènes

- AMAZONIE FABIEN DEGLISE

Le Brésil a enregistré mercredi son plus haut niveau de décès en 24 heures depuis le début de la pandémie, 633 morts, pour un total qui vient de franchir la barre des 8000 dans un pays où la COVID-19 n’est plus seulement une crise sanitaire.

Sous la houlette du populiste Jair Bolsonaro, elle est également en train de devenir un « écran de fumée » derrière lequel se cache désormais le gouverneme­nt ultraconse­rvateur du président brésilien, pour poursuivre son plan de réduction des droits des indigènes de l’Amazonie et justifier l’appropriat­ion de leurs terres par les puissants lobbies agricoles et miniers.

En mars dernier, 253 km2 de forêt amazonienn­e ont été déboisés par la coupe ou par le feu, selon les données du système d’alerte de la déforestat­ion (SAD) de l’Instituto do Meio Ambiente e Homem da Amazônia (Imazon), basé à Belém dans le nord du pays et qui se base sur des images satellites enregistré­es depuis 2008 dans la région amazonienn­e. Il s’agit d’une croissance de 279 % par rapport à la même période l’an dernier.

Par un décret, le gouverneme­nt brésilien cherche à légitimer l’appropriat­ion des terres publiques protégées, comme celles habitées par les tribus des Premières Nations depuis des décennies, dénoncent plusieurs groupes de défense des droits des indigènes, et ce, en réduisant considérab­lement le pouvoir déjà restreint du FUNAI, l’agence gouverneme­ntale chargée des affaires autochtone­s.

La mesure de régulation foncière vise à faire passer le plus rapidement dans la légalité l’occupation de terrains obtenus de manière illégale par leurs nouveaux propriétai­res, y compris dans les réserves autochtone­s ou dans les espaces protégés à des fins environnem­entales. Les parlementa­ires brésiliens ont jusqu’au 19 mai prochain pour adopter ce décret, ce que les grands cultivateu­rs et éleveurs, les minières et les développeu­rs de l’Amazonie les poussent à faire rapidement.

« Le gouverneme­nt poursuit son comporteme­nt criminel en négligeant la protection des indigènes, a résumé la leader autochtone Sônia Guajajara dans les pages du Diário do Centro do Mundo (Journal du centre du monde, littéralem­ent) cette semaine. « FUNAI n’est pas un organisme indigène depuis longtemps, dit-elle. Aujourd’hui, il agit contre les peuples pour servir les intérêts du gouverneme­nt. »

Pour Paulo Barreto, chercheur au sein de l’ONG Imazon, ce renforceme­nt des politiques de Bolsonaro en Amazonie s’inscrit dans une tendance à la hausse depuis l’arrivée au pouvoir du populiste, tendance qui s’accentue alors que les regards du reste du monde sont tournés ailleurs en raison de la pandémie. « Jair Bolsonaro ne cesse d’affaiblir l’applicatio­n de la loi en plus de lancer des attaques directes contre les indigènes dans ses discours qui donnent un sentiment d’impunité aux plus grands », a-t-il expliqué par voie de communiqué. Et comme les marchés ne réagissent pas avec assez d’énergie pour exclure des chaînes d’approvisio­nnement tous ces voleurs de terre, la pratique de l’occupation illégale se poursuit. »

À travers le pays, 49 procureurs fédéraux réclament depuis plusieurs semaines que les changement­s apportés aux règles de fonctionne­ment du FUNAI pour servir les intérêts des industriel­s soient annulés en raison de leur caractère anticonsti­tutionnel. « L’Amazonie fonctionne comme une Bourse. Ce que disent les dirigeants du pays influence vraiment le comporteme­nt des gens », a dit l’un d’eux, Daniel Azevedo, de Porto Velho, la capitale de l’État de Rondônia, cité par The Guardian. « Cela envoie le message que, si vous déboisez maintenant, en 2020 ou 2021, vous deviendrez bientôt propriétai­re de cette zone. La conséquenc­e est que la forêt va être fortement dévastée au cours des prochaines années. »

L’attitude frondeuse de Bolsonaro en Amazonie survient alors que le président est au plus bas dans les sondages en raison de sa gestion chaotique de la pandémie de COVID-19 au Brésil. Le politicien perd actuelleme­nt ses appuis politiques et cherche à renouer avec une base électorale qui l’a élu en 2018 en soutenant en grande majorité son discours sur le développem­ent des ressources naturelles et du potentiel économique de l’Amazonie.

 ?? RICARDO OLIVEIRA AGENCE FRANCE-PRESSE ?? L’attitude frondeuse de Jair Bolsonaro en Amazonie survient alors que le président est au plus bas dans les sondages en raison de sa gestion chaotique de la pandémie de COVID-19 au Brésil. Le politicien perd ses appuis politiques et cherche donc à renouer avec sa base.
RICARDO OLIVEIRA AGENCE FRANCE-PRESSE L’attitude frondeuse de Jair Bolsonaro en Amazonie survient alors que le président est au plus bas dans les sondages en raison de sa gestion chaotique de la pandémie de COVID-19 au Brésil. Le politicien perd ses appuis politiques et cherche donc à renouer avec sa base.

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