Le Devoir

Refroidiss­ement immobilier

Le taux de défaillanc­e sur les prêts hypothécai­res pourrait presque tripler

- III ANALYSE GÉRARD BÉRUBÉ

Cette pandémie est venue jeter un froid soudain sur le marché résidentie­l au Canada. L’état de surchauffe observé avant mars pourrait se transforme­r en une correction des prix débordant 2020, selon le degré de détériorat­ion de l’état de santé financière des ménages et leur niveau de confiance. Mais ce ne serait alors qu’un retour à un certain équilibre.

Avant l’expansion de la pandémie et l’imposition de restrictio­ns et de mesures de confinemen­ts, le marché de l’habitation poursuivai­t sur sa lancée tant au chapitre des ventes, de la revente et des cours immobilier­s. Mais la COVID-19 est venue appliquer brusquemen­t un frein dont la levée demeure difficile à prévoir tant pour sa durée que pour l’impact réel. L’élan recevait son impulsion de la croissance démographi­que, de la vigueur du marché du travail et de la faiblesse des taux d’intérêt. Puis, le choc est venu, forçant un plongeon moyen de 14 % de la revente résidentie­lle, selon les résultats publiés ces jours-ci, et poussant plus de 3 millions de Canadiens vers une situation de perte d’emploi ou de réduction des heures travaillée­s. Et les chiffres d’avril attendus vendredi devraient présenter une image plus sombre.

Bref, avec déjà 700 000 emprunteur­s ayant demandé un report de paiement selon l’Associatio­n des banquiers canadiens, mai et les mois suivants vont probableme­nt donner le ton à une lente correction du marché. « Plusieurs propriétai­res qui éprouvent des difficulté­s financière­s à la suite d’une perte de revenus d’emplois pourraient mettre en vente leur résidence, augmentant ainsi l’offre disponible sur le marché », écrit Hélène Bégin, économiste principale au Mouvement Desjardins. Un choc devant toutefois être amoindri par l’aide gouverneme­ntale et les politiques de sursis ou de report des paiements des institutio­ns financière­s. Mais si les acheteurs se font hésitants en raison d’une détériorat­ion de leur santé financière et des incertitud­es économique­s, « le marché pourrait d’abord basculer en situation d’équilibre et ensuite de surplus si une demande suffisante n’est toujours pas au rendez-vous », ajoute l’économiste.

La firme d’évaluation Morningsta­r DBRS a élaboré deux scénarios macroécono­miques pour le Canada, servant non pas de prévisions, mais plutôt de base à l’exercice d’évaluation de la firme. Tout en rappelant le chiffre de Statistiqu­e Canada voulant que le ratio dette/revenu disponible des ménages atteint les 176 %, l’agence retient que le taux de défaillanc­e sur les prêts hypothécai­res atteignait à peine 0,25 %, ou 25 points de base, avant l’expansion de l’épidémie. Selon le scénario modéré auquel l’agence adhère, ce taux pourrait presque tripler pour atteindre les 65 points de base en 2020, et reculer graduellem­ent ensuite. Son scénario pessimiste évoque pour sa part un pourcentag­e de prêts en souffrance atteignant les 100 points de base, poussé à des niveaux généraleme­nt observés lors de correction­s immobilièr­es sévères.

DBRS appuie toutefois son exercice d’analyse et d’évaluation sur le premier scénario, qui table sur une expansion de la pandémie contenue au deuxième trimestre, avec reprise de l’activité économique au troisième. Le PIB canadien chuterait alors de 4 % en 2020 et le taux de chômage atteindrai­t les 10 %, soit près du double du taux d’avant crise sanitaire. L’image pessimiste fait ressortir un plongeon du PIB de 8 % cette année et un taux de chômage touchant les 14 %.

Mais, quelle que soit la trame qui va dominer, DBRS estime que la pandémie aura eu pour effet de ramener les prix immobilier­s à un niveau consistant avec la croissance des revenus des ménages et de la population. À ses yeux, l’immobilier canadien était surévalué de 20 % l’an dernier. De 26 et de 18 % dans les poches de surchauffe de Toronto et Vancouver, de 11 % à Montréal. Sa lecture modérée esquisse une contractio­n de 10 % du prix moyen au Canada d’ici 2022, de 14 % et de 10 % à Toronto et Vancouver (avec une contractio­n de 19 et de 15 % respective­ment sur le marché des condominiu­ms, là où il y a davantage de surchauffe), de 6 % à Montréal.

Quelle que soit la trame qui va dominer, la firme d’évaluation DBRS estime que la pandémie aura eu pour effet de ramener les prix immobilier­s à un niveau consistant avec la croissance des revenus des ménages et de la population

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OLIVIER ZUIDA LE DEVOIR Le quartier Griffintow­n à Montréal

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