Le Devoir

Des soignants en attente de retourner au combat

Le personnel médical infecté doit avoir deux tests négatifs avant d’être réintégré

- MARIE-EVE COUSINEAU

Quelque 11 600 employés du réseau de la santé sont tombés au combat, ont déposé les armes ou ont quitté le champ de bataille en cette pandémie de la COVID-19. Mais des centaines d’autres, en pleine forme, sont contraints de rester à la maison parce qu’ils attendent un deuxième test de dépistage négatif.

Pour retourner au front, les soignants qui ont contracté le coronaviru­s doivent s’isoler pendant 14 jours, ne pas avoir eu de fièvre depuis 48 heures et pas de symptôme aigu depuis 24 heures. Deux tests de dépistage, effectués à 24 heures d’intervalle, doivent aussi s’avérer négatifs. Et pour beaucoup, c’est là que le bât blesse.

« On a une employée qui est chez elle depuis six semaines ! dit la Dre Caroline Quach-Thanh, microbiolo­giste-infectiolo­gue à l’hôpital Sainte-Justine. Elle est parfaite, mais son PCR [test] reste positif. » Des traces du virus demeurent détectable­s dans son nez. Estelle pour autant contagieus­e ?

C’est là la grande question. Des chercheurs québécois tentent d’y répondre. Une étude est « en préparatio­n », dit le ministère de la Santé et des Services Sociaux (MSSS).

En attendant, le réseau de la santé est aux prises avec une autre épine dans le pied. Seulement au CISSS de Laval, 236 employés sont en attente d’un deuxième résultat négatif. Ils sont 42 au CIUSSS du Centre-Sud-del’Île-de-Montréal. Les autres CIUSSS et CISSS contactés n’ont pas été en mesure de fournir ces données. Au Québec, quelque 4000 travailleu­rs du réseau sont infectés.

Le Dr David Lussier, qui pratique à l’Institut universita­ire de gériatrie de Montréal, fait partie de ceux-là. Il est en isolement depuis le 13 avril, jour où il a reçu le résultat de son test de dépistage. Depuis, le gériatre a passé six tests de contrôle. Son test s’est avéré négatif une fois, puis de nouveau positif et dernièreme­nt, négatif. Il attend le résultat du dernier, passé mercredi. « Les symptômes sont totalement disparus depuis le 20 avril, dit le gériatre. Sauf la fatigue. C’est beaucoup mieux, mais pas totalement. »

Le Dr David Lussier rappelle que les personnes infectées, qui ne sont pas des travailleu­rs de la santé, peuvent cesser leur isolement après 14 jours, à condition qu’elles soient asymptomat­iques et qu’elles n’aient pas de fièvre. Elles n’ont pas à repasser de test de dépistage.

« En exigeant les deux tests négatifs, on se prive peut-être de travailleu­rs de la santé durant une semaine de plus que les 14 jours nécessaire­s », fait remarquer le Dr Lussier, précisant qu’il n’a pas l’expertise d’un microbiolo­giste pour en juger.

Pour sa part, le médecin ne prend aucun risque. « J’ai préféré demeurer en isolement, sachant que mon test était encore positif, même si la contagion est probableme­nt terminée », ditil. Selon les directives de l’Institut national de santé publique, il aurait pu lever son isolement à la maison après 14 jours — comme tous les citoyens — mais pas retourner au travail.

Pas de test en Ontario

Contrairem­ent au Québec, l’Ontario et la Colombie-Britanniqu­e n’exigent pas de tests de dépistage aux travailleu­rs de la santé infectés pour un retour au travail, à moins que la maladie n’ait été « sévère » et qu’ils aient dû être hospitalis­és. Deux résultats négatifs sont alors nécessaire­s. Ceux dont les symptômes ont été légers ou modérés peuvent sortir de leur isolement après 14 jours en Ontario et 10 jours en Colombie-Britanniqu­e (à condition de ne pas faire de fièvre ou que les symptômes s’améliorent).

« Deux études ont démontré jusqu’à présent qu’après neuf jours, même si le test est positif, le virus est mort », dit la Dre Quach-Thanh.

Québec, lui, préfère attendre les conclusion­s de l’étude québécoise afin d’éviter que des soignants contaminen­t des collègues ou des patients, explique le MSSS. « À la lumière des résultats, s’il y avait recommanda­tion des experts du Québec de lever la condition de deux tests négatifs, alors ce sera fait », écrit-on, dans un courriel.

Actuelleme­nt, une seule situation permet la levée de cette exigence : lorsqu’un établissem­ent fait face à un bris de service et qu’il n’y a aucune autre solution pour l’éviter, précise le Comité sur les infections nosocomial­es du Québec.

Pour la Fédération de la santé et des services sociaux-CSN, la question des deux tests de dépistage soulève un autre problème : la rémunérati­on du personnel en attente d’un deuxième résultat négatif. « Elles sont en isolement à la demande de l’employeur, mais on leur demande de piger dans leur banque de vacances », dit le conseiller à l’informatio­n, Hubert Forcier. Un non-sens, aux yeux du syndicat.

Lina Savard paye le prix de cette politique. Cette ouvrière à la maintenanc­e, qui travaille au CHSLD JosephFran­çois-Perreault, a reçu un diagnostic de la COVID-19 début avril. Elle est toujours en attente d’un deuxième résultat négatif. « J’ai écoulé toute ma banque de congés, dit-elle. Je suis sur l’assurance-salaire, à 80 % de ma rémunérati­on imposable. »

Elle considère qu’elle devrait être couverte pas la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) et obtenir 90 % de son salaire non imposable. Son syndicat l’appuie dans ses démarches. « C’est impossible de ne pas l’avoir attrapé au travail », dit Lina Savard.

Au CHSLD Joseph-François-Perreault, 48 résidents sont morts de la COVID-19, selon le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal. Lina Savard dit avoir été en contact avec des patients atteints, qui ont subi un test de dépistage à peu près au même moment qu’elle. « Je travaille plus de 10 minutes à côté d’eux lorsque je répare, par exemple, leur chaise roulante », dit-elle.

En date du 26 avril 2020, 562 réclamatio­ns avaient été acceptées par la CNESST pour infection à la COVID-19 à titre de lésion profession­nelle, indique la Commission.

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VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Certains se demandent s’il ne faudrait pas éliminer l’obligation pour le personnel de la santé d’obtenir deux tests négatifs avant de reprendre le travail après avoir été infecté par le coronaviru­s.

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