Mollo sur le vino
Surtout en cette époque où l’on a l’impression que c’est dimanche tous les jours tant les pendules ont perdu le nord
Boire du vin, c’est bon. Boire trop de vin, c’est moins bon. C’est ce me disait en bas âge mon médecin de père. Le corps médical au grand complet ne va-t-il d’ailleurs pas dans ce sens en prônant une consommation modérée ? À lire la liste aussi longue qu’une pandémie qui s’éternise des inconvénients de l’alcool sur les tissus, organes, synapses, globules blancs, lymphocytes et autres hépatocytes, un humain normalement constitué serait tenté de fermer boutique quand vient le temps d’ingurgiter de l’éthanol. Et ce n’est pas parce que c’est du vin que c’est plus chic pour autant !
Alors, mollo sur le vino ? C’est ce qu’avançait la semaine dernière sur les ondes de la radio publique Sonia Lupien, chercheuse en neurosciences et spécialiste du stress. Surtout en cette époque où l’on a l’impression que c’est dimanche tous les jours tant les pendules ont perdu le nord. Non pas que ce soit stressant de boire du vin, mais parce que la substance psychoactive que représente l’alcool induit un effet dépressif sur le système nerveux. Avec, à la clé, un relâchement de dopamine
Le corps médical au grand complet ne va-t-il d’ailleurs pas dans ce sens en prônant une consommation modérée ?
par un fameux « système de récompense » au cerveau et dont le pouvoir euphorisant fait en sorte que, si on ne fait pas gaffe en l’activant trop souvent, on se retrouve coincé comme un rat de laboratoire à vouloir se faire plaisir éternellement. D’où la dépendance.
Ce n’est pas très sexy, tout ça, mais on ne rigole pas avec le corps, surtout médical. À l’image des artistes, des poètes ou des insouciants (lire : que les soucis laissent las), vous n’êtes pas stressé le moins du monde ? À la bonne heure ! Non seulement vous n’aurez pas besoin d’y aller mollo sur le vino, mais embrasserez l’expérience du vin comme un grand tout, fusionnant l’expression physique à l’exaltation spirituelle. Une dépendance qui, dans ce cas-ci, convie l’homme à la table des dieux pour refaire le monde, aussi patibulaire soit-il.
Goethe écrivait : « Il n’est de véritable jouissance qu’au point où commence le vertige. » Ce XXIe siècle qui est le nôtre trouve-t-il pour autant, par le biais d’une certaine morale hygiéniste ou de quelque autre pudibonderie de salon, à vouloir « cacher » ce vertige à la manière d’un Tartuffe, qui, à une autre époque, invitait à « cache[r] ce sein que je ne saurais voir » ? J’inclinerais à y penser, quoiqu’il s’avère qu’une dépendance au vertige serait sans doute ressentie ici comme une dépendance de trop. On n’y échappe pas. Surtout, faut-il le préciser de nouveau, qu’on ne rigole pas avec la boisson. Vertige ou pas.
Que fait-on alors ? Eh bien, on modère ses transports. Mon truc à moi, ça ne mange pas de pain, comme le veut l’expression. Il consiste à imaginer, à repérer, à déboucher, à verser un vin que je ne connais pas, ou si peu pour le humer et le humer encore en y investissant tellement d’anticipations de ma part que la somme des préliminaires consentis devient autant de petits vertiges gagnés avant même d’en avaler une rasade. Un peu comme regarder une vidéo promotionnelle de voyage décrivant les gastronomies, architectures, couleurs et autres spécificités historiques locales, histoire de se mettre l’eau à la bouche avant d’investir l’endroit ultérieurement. Un peu comme le ferait un Christian Bégin impatient de rejoindre son Kamouraska chéri quand sonnera le décloisonnement des régions !