Le Devoir

Homard à la COVID-19

Un lancement virtuel de la saison de pêche aux Îles-de-la-Madeleine

- ISABELLE PARÉ

Beau temps ou mauvais temps, plus de 300 équipages de la municipali­té des Îles-de-la-Madeleine ont pris la mer vendredi matin pour une 145e saison de pêche aux homards qui restera longtemps gravée dans les mémoires et les palabres, comme diraient les Madelinots.

D’ordinaire investis par des milliers de familles, les quais sont restés anormaleme­nt déserts aux premières lueurs du jour pour la traditionn­elle mise à l’eau des bateaux, dématérial­isée pour cause de COVID-19 dans le salon des Madelinots et des Québécois via Facebook, Zoom et autres avatars virtuels. Loin des feux d’artifice et des tintamarre­s habituels, les Madelinots se sont amarinés (adaptés) tant bien que mal à la nouvelle réalité qui frappe le continent.

Au petit matin, Boucar Diouf, océanograp­he-biologiste, a piloté à distance sur le Web l’événement phare du calendrier insulaire. « J’aurais aimé être sur les quais et prendre moi aussi la vague. Je vais surfer, mais sur le Net, pour souligner cette tradition d’humilité face à la mer », a expliqué la veille le conteur au verbe fleuri, invité à parrainer ce « Grand Départ » par Mario Cyr, grand plongeur madelinot.

Un brin plus sèche et recadrée pour cause de pandémie, cette mise à l’eau, judicieuse­ment intitulée « Tous dans le même bateau », a fait appel à la solidarité avec le reste du continent, aux prises avec le coronaviru­s. « L’idée, c’est de relayer le message qu’il faut tous s’entraider, dit Diouf, notamment aider les gens des Îles en achetant du homard québécois. »

Car si le virus a jusqu’ici épargné les Madelinots, il pourrait dévaster son économie, grandement tributaire du tourisme, deuxième industrie en importance après celle de la pêche.

Un été en sursis

Cette cyberouver­ture dépeuplée de la saison de pêche donne un avant-goût de ce que pourrait encaisser l’archipel, visité l’été par environ 75 000 visiteurs. La petite municipali­tédes Îlesde-la-Madeleine imposera à tous les visiteurs une quarantain­e obligatoir­e de 14 jours, dès le déconfinem­ent prévu le 18 mai, et ce, jusqu’au 15 juin.

« Ceux qui viennent d’ailleurs au Québec ne pourront se promener un peu partout », affirme Jonathan Lapierre, maire de la municipali­té, qui a pressé la Direction de santé publique (DSP) de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine d’autoriser cette quarantain­e. Quasi épargnés par le virus (huit cas, tous issus de voyages), les Madelinots ont mis en suspens leur hospitalit­é légendaire pour protéger leur communauté de 13 000 âmes.

« On n’annule pas toute la saison touristiqu­e, affirme le maire. Mais si jamais la situation dégénère, on prolongera la quarantain­e. On suivra ça de mois en mois. Les Madelinots sont inquiets. Car la santé prime et nos services en matière de lits d’hôpital et de soins d’urgence sont très limités », indique le maire.

Ce dernier juge « utopique » d’accueillir simultaném­ent 20 000 visiteurs, alors que tous les vols (sauf pour urgences médicales ou profession­nelles) ont été suspendus et que toutes les croisières (5000 visiteurs) et la majorité des événements culturels ont été annulés. « Les diffuseurs ont annulé leurs spectacles jusqu’en juillet. Il ne reste que le mois d’août. Ça crée beaucoup d’insécurité en raison de la saisonnali­té de notre économie. On ne peut pas se reprendre à l’automne », ajoute Anne-Marie Boudreau, directrice de l’organisme culturel Arrimage.

Seul le traversier de la CTMA acceptera des voyageurs à la fin de juin, mais il sera rempli à seulement 50 % de sa capacité et les passagers seront probableme­nt confinés dans leur voiture pour la traversée. Rien d’attirant pour qui recherche le grand large. Le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard, par où transitent 80 % des visiteurs, ont verrouillé leurs frontières jusqu’à la mi-juin.

Tant les Madelinots d’origine, nombreux à rentrer aux Îles l’été, que les travailleu­rs ou les propriétai­res de résidences secondaire­s (environ 500) devront respecter une quarantain­e stricte jusqu’à cette date. La survie de plusieurs petites entreprise­s familiales, non admissible­s aux programmes d’aide gouverneme­ntaux actuels, est en sursis, affirme Jonathan Lapierre. « Les commerces de détails peuvent se tourner vers les commandes en ligne, dit-il, mais pas les hôtels ou les restaurant­s. »

Confinés dans le confinemen­t

« On n’est pas juste confinés dans nos maisons, on est confinés au bout de la route, confinés au milieu de la mer ! » commente avec humour Suzanne Richard, auteure et musicienne qui ne sait si elle pourra renouer avec son piano pour égayer cet été les soirées au Café de la Grave à Havre-Aubert.

Plusieurs Madelinots, comme elle, gardent encore l’espoir de renouer avec les visiteurs d’ici l’automne. « Plusieurs Québécois, comme nous,

On n’est pas juste confinés dans nos maisons, on est confinés au bout de la route, confinés a u milieu de la mer ! SUZANNE RICHARD

sont en attente et n’ont pas annulé leurs réservatio­ns de maison de vacances dans l’espoir que ça reprenne », explique Sony Cormier, président de la Chambre de commerce des Îles-de-la-Madeleine.

« Oui, les groupes ont annulé. Mais pas la majorité des autres visiteurs. Nous, on est prêts à les accueillir, affirme Bernard Saint-Onge, directeur de l’auberge La Salicorne, qui a prévu des forfaits d’excursions compatible­s avec la saine « distanciat­ion physique ». « Tout n’est pas perdu. Activités ou pas, les familles d’origine madelinien­ne vont revenir. Celles d’autres régions auront aussi besoin de se ressourcer », pense Damien Deraspe, président de Tourisme îles de la Madeleine. Difficile de croire qu’au début de mars, le sujet du surtourism­e était à l’ordre du jour d’une consultati­on lancée par l’organisme.

Le confinemen­t imposé aux Îles est d’autant plus surréel que, sur cet îlot perdu en mer, aucune transmissi­on communauta­ire n’a été rapportée. « En fait, ici, on a l’impression de “jouer” au confinemen­t, car tout le monde est safe et personne n’entre nulle part. C’est vraiment bizarre. On est tous confinés quand même, on ne voit personne ! » lance Suzanne Richard, qui ose rêver d’une reprise, fin juillet, et ne craint pas du tout pour la distanciat­ion physique. « Avec 14 kilomètres de sable juste à la plage de la Dune du Nord, avant d’être collés, on peut en accueillir, du monde ! »

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