Le Devoir

Elles prient à l’aide

Les Soeurs de la Providence ont besoin de renforts pour soigner leurs malades, mais leurs appels restent sans réponse

- JESSICA NADEAU LE DEVOIR

Dans leur résidence, à quelques pas de l’hôpital Sacré-Coeur, qu’elles ont fondé il y a bien longtemps, les Soeurs de la Providence crient à l’aide. Prises avec une éclosion de COVID-19 dont le nombre de cas explose de jour en jour, elles demandent des renforts qui ne viennent pas. Celles qui ont passé leur vie à soigner les plus vulnérable­s se sentent aujourd’hui abandonnée­s par le système.

Lorsqu’elle a appris, le 30 avril dernier, qu’elle avait la COVID-19, soeur Claire LeHoux, 87 ans, a pleuré. Depuis qu’elle est en confinemen­t dans sa chambre, dans la zone chaude de la résidence Salaberry, elle passe ses journées à prier : elle écoute à la télévision la messe du pape, celle de la cathédrale puis celle de Notre-Dame-de-Lourdes.

Après plusieurs jours difficiles, elle commence à se sentir mieux et rêve de retourner s’occuper de ses rosiers. Elle sait qu’il y a souvent des accalmies avant une rechute, mais elle

garde espoir. « Vous avez vu la neige ce matin comme c’était beau ? Soeur Céline nous a dit que c’était des grâces qui tombaient du ciel. Les grâces, ça donne du courage, de l’énergie. Ce sont des nouvelles positives. »

Douze cas

Mais les nouvelles ne sont pas réjouissan­tes à la résidence Salaberry, où vivent une cinquantai­ne de religieuse­s. Comme elles sont autonomes, elles n’ont pas de personnel soignant attitré, outre l’infirmière maison, soeur Réjeanne Turcotte, 86 ans.

Depuis quelques jours, soeur Réjeanne en a plein les bras. Avec la soeur supérieure Céline Brousseau, 83 ans, elles font la tournée des chambres, prennent la températur­e, surveillen­t les symptômes.

Il y a un peu plus d’une semaine, il y a eu un premier cas de COVID-19 à la résidence. Le lendemain, six. Le surlendema­in, douze. D’autres attendent encore leurs résultats.

Derrière ses lunettes et son masque bleu, la soeur supérieure est bouleversé­e : « Ce sont mes soeurs qui sont malades, je ne veux pas les perdre. Je voudrais faire plus, mais je n’y arrive plus. Des fois, je ne suis plus capable de marcher à la fin de la journée. Je travaille jour et nuit. Je ne pourrai pas faire longtemps comme ça… »

La résidence voisine, Carrefour Providence, tente de leur prêter main-forte. Ils ont envoyé Vida Wall, une conseillèr­e en santé et sécurité sortie de sa retraite il y a neuf jours pour organiser la résidence. Elle a créé des zones chaudes et froides, fermé la chapelle, donné des formations sur le port de l’équipement de protection individuel.

Depuis le premier jour, Vida Wall demande l’aide du CIUSSS du Nordde-l’Île-de-Montréal. Il a fallu plus de trois jours pour avoir de l’équipement de protection, dit-elle. Une équipe du CIUSSS est venue faire une évaluation, mais elle n’a encore reçu aucune aide concrète.

« J’ai besoin de bras pour répondre aux besoins essentiels, pas d’un nouvel audit, s’impatiente-t-elle. On entend dire partout qu’il y a de l’aide, mais la réalité, c’est que lorsqu’on frappe à la porte, il n’y a personne qui répond. Et pendant ce temps, le nombre de cas continue d’augmenter. »

Depuis samedi, la docteure Rachel Savage, qui fait des soins à domicile, a ajouté la résidence dans sa tournée.

Elle passe de chambre en chambre, pose des questions, tente de se faire rassurante. Elle note une détresse psychologi­que chez plusieurs patientes, signe précurseur d’une santé déclinante. Elle ne comprend pas qu’il n’y ait pas de personnel soignant en permanence dans cet établissem­ent où les besoins sont criants.

Carrefour Providence

Dans la résidence d’à côté, Carrefour Providence, on s’estime chanceux. Sur les 350 soeurs, il n’y a eu que deux cas, dont une qui est guérie. Mais la directrice générale, Danielle Gaboury, sait qu’elle ne pourra pas tenir longtemps si une éclosion devait survenir. Déjà, plusieurs membres du personnel — tous des laïcs — sont partis, préférant aller dans les établissem­ents du réseau où ils ont droit à la « prime COVID ».

« Ici, comme c’est du “privé-privé” — ce sont les soeurs qui payent le personnel —, les employés n’ont pas droit à la prime gouverneme­ntale, expliquet-elle. Pourtant, c’est exactement comme un CHSLD, ce sont les mêmes soins. C’est injuste et inéquitabl­e. »

Elle note que le climat est de plus en plus tendu au sein du personnel, qui ressent de la frustratio­n et une grande fatigue, car tout le monde fait des heures supplément­aires. « Ça peut devenir rapidement critique », affirme Mme Gaboury.

La soeur supérieure provincial­e, Claire Houde, a même écrit au gouverneme­nt pour demander de l’aide. « Ça me fait mal au coeur de voir ça. Plusieurs des soeurs ici ont travaillé à l’hôpital Sacré-Coeur. Et quand elles ont besoin du système de santé, il n’y a personne pour les aider. »

Elle demande aussi des renforts pour la résidence voisine.

« Ce n’est pas humain de les laisser dans cette situation, dit-elle. Je suis gênée quand les soeurs me demandent pourquoi elles n’ont pas d’aide. J’essaie de les encourager, de leur dire que l’aide va arriver. La patience est une vertu, mais un moment donné, la vertu a aussi ses limites ! »

Réponse du CIUSSS

Au CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal, on répond que « de l’aide a été apportée en matière de prévention et de contrôle des infections » depuis le 1er mai. « Nous avons donné une formation en hygiène et salubrité et avons collaboré au dépistage de l’ensemble des résidentes. Du matériel de protection individuel­le a également été offert. »

On affirme que l’équipe des soins à domicile a pris en charge l’ensemble des résidentes et que des efforts sont déployés pour recruter du personnel soignant.

Au ministère de la Santé, on affirme avoir « demandé à tous les p.-d.g. des CISSS et CIUSSS de mettre en place un canal de communicat­ion avec les communauté­s religieuse­s de leur territoire afin de pouvoir répondre à leurs questions ».

Le porte-parole ajoute que « le ministère explore la possibilit­é d’accompagne­r les résidences qui embauchent des préposés aux bénéficiai­res actuelleme­nt ».

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MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Une religieuse salue de la main ses consoeurs à la résidence des Soeurs de la Providence.
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Au Carrefour Providence, des religieuse­s s’esclaffent de rire en regardant par la fenêtre leurs consoeurs qui chantent dans le réfectoire.
1 1 Au Carrefour Providence, des religieuse­s s’esclaffent de rire en regardant par la fenêtre leurs consoeurs qui chantent dans le réfectoire.
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2 2 À la Résidence Salaberry, la docteure Rachel Savage fait le point avec l’infirmière de la maison, soeur Réjeanne Turcotte.
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La résidence Carrefour Providence demande l’aide du gouverneme­nt et du réseau de la santé pour l’aider à s’occuper des religieuse­s, dont la moyenne d’âge est de 85 ans.
Une soeur marche dans les couloirs de la résidence Carrefour Providence. La résidence Carrefour Providence demande l’aide du gouverneme­nt et du réseau de la santé pour l’aider à s’occuper des religieuse­s, dont la moyenne d’âge est de 85 ans.
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PHOTOS MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR La docteure Rachel Savage écoute les bronches de soeur Hélène Paillé, qui attend les résultats de son test de dépistage.

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