Une attente intenable pour les familles de détenus
Du jour au lendemain, les appels quotidiens d’un père à ses enfants ont cessé sans qu’ils comprennent trop pourquoi. Des proches de détenus incarcérés à la prison de Bordeaux sont sans nouvelles d’eux depuis l’apparition d’un foyer d’éclosion de la COVID-19, le 24 avril, qui a forcé le confinement des détenus dans deux secteurs de l’établissement. À l’angoisse causée par la pandémie s’ajoute celle de ne pas avoir d’information sur l’état de santé de ceux qu’ils aiment.
« L’isolement, j’ai dû le déduire et ça m’a été confirmé dans un article de journal », a déploré Jean-Louis Nguyen en entrevue au Devoir. Son conjoint purge une peine 28 mois pour trafic de drogue. Le Devoir a accepté de ne pas révéler son identité parce que M. Nguyen craint pour la sécurité de celui-ci en prison si son homosexualité est révélée. Ses appels à l’Établissement de détention de Montréal (Bordeaux) sont restés sans réponse, tout comme les lettres qu’il a envoyées depuis deux semaines pour tenter d’avoir des nouvelles. « Je ne suis même pas sûr s’il y a eu un plan de communication pour informer les familles et les proches, a-t-il affirmé. Est-ce qu’il est possible au moins de savoir que notre détenu n’est pas à risque, s’il est affecté ou pas ? » M. Nguyen s’inquiète d’autant plus pour la santé de son conjoint que celui-ci souffre déjà d’une maladie chronique.
La conjointe d’un autre détenu, dont nous taisons l’identité parce qu’elle craint un préjudice, est allée en personne à la prison pour demander des explications. « Le monsieur au comptoir avait l’air d’être dans le néant », a-t-elle affirmé. La dernière fois que son conjoint a téléphoné pour parler à leurs enfants, c’était le 23 avril, soit la veille du confinement dans le secteur E de l’établissement. Depuis, les détenus sont en cellule 24 heures sur 24. Elle s’inquiète pour la santé physique, mais aussi mentale de son conjoint dû à l’enfermement. Celui-ci purge une peine de 12 mois de prison pour recel d’argent. « Je ne peux pas croire qu’ils nous laissent dans le néant comme ça, a-t-elle dénoncé. Ils savent que ces personneslà… Oui, elles ont commis un crime, c’est vrai. Il le fait, son temps, pour ça, sauf que dans ces conditions-là, ce n’est pas humain de les laisser comme ça et de nous laisser, les familles, comme ça. Ce sont des pères de famille, des maris, des fils ! »
Me Annie Boyer, qui représente ce détenu, est elle aussi sans nouvelles depuis le 22 avril. L’audience devant la Commission des libérations conditionnelles du Québec qui devait se dérouler le 27 avril a été reportée à une date indéterminée. « C’est difficile de rassurer les familles parce qu’elles sont excessivement inquiètes et que nous n’avons pas d’information, a-t-elle affirmé en entrevue. On ne sait pas quel client est infecté. » Des téléphones cellulaires doivent être « mis à la disposition des personnes confinées dans les secteurs de quarantaine » d’après les indications du gouvernement, mais leur accès est inégal, selon les témoignages recueillis par Le Devoir.
Le nombre de détenus atteints par la COVID-19 à la prison de Bordeaux a continué d’augmenter au cours des derniers jours. Ils étaient 37, selon les chiffres dévoilés par la Santé publique vendredi, sur les 915 personnes incarcérées ce jour-là. Les agents correctionnels ont fait face à une augmentation des comportements agressifs depuis la semaine dernière dans les secteurs E et C, où des centaines de détenus sont en confinement.