Odile Tremblay
Je voudrais vous parler de la France, pays épris et façonné de culture, comme chacun le sait. La crise du coronavirus l’a frappée fort et le milieu trépignait. Cet Hexagone privé de musées, de cinémas, de théâtres et de salles de spectacle ouverts se sent l’ombre de lui-même. Normal, me direz-vous, sous le feu de la pandémie. Vrai ! Reste qu’il s’agit d’une industrie culturelle énorme (au poids économique de 44,5 milliards d’euros) doublée d’un art de vivre qui s’exporte par-dessus le marché.
Les Français ne peuvent plus manifester (ça doit être dur). Ce qui n’a pas empêché d’autres attaques frontales et concertées venues des rangs créateurs. Maintes pétitions circulant en ligne, nourries de voix indignées aux 230 000 signatures, ont frappé. Les artistes ont l’habitude de s’agiter ferme de leur côté de la mare Atlantique. On leur envie leur pouvoir de ralliement.
Tout en comprenant la gravité de la situation, une fois le temps de sidération passé — après tout, la France se déconfine en partie le 11 mai —, quid, demandaient-ils, pour leur secteur ? Ils désiraient des indications de calendrier sur la suite des choses et protéger les maillons les plus faibles de la chaîne des arts. Furieux devant le long mutisme du ministre de la Culture, plusieurs grands noms du cinéma, du théâtre et de la chanson avaient signé le 30 avril dans Le Monde une missive à l’adresse du président de la République. Catherine Deneuve, Patrick Bruel, Stanislas Nordey, Juliette Binoche, Omar Sy, Jean Dujardin, Jacques Audiard et bien d’autres, remisant leurs chicanes du temps antédiluvien des César, ont mis le poing sur la table virtuelle.
But de l’opération : prendre entre autres la défense des intermittents du spectacle, travailleurs occasionnels fragilisés en ces temps durs. « Monsieur le Président de la République, lors de sa conférence de presse du 19 avril, le premier ministre [Édouard Philippe], énumérant tous les secteurs d’activité, a oublié le secteur culturel. Combien de personnes vivant en France a-t-il oubliées avec nous ? » demandaient-ils. Appelant l’État à éclairer leur lanterne pour la suite des choses, ils réclamaient aussi des mesures d’urgence pour tous les travailleurs en contrats courts laissés en plan. La salve a porté.
Le premier ministre prit dans les jours suivants la parole pour calmer les troupes, le ministre de la Culture, Franck Riester, s’est fendu d’un appui en déclarant : « Sans un soutien prolongé des pouvoirs publics, la culture ne survivra pas. » Dont acte ! Une année blanche… et des éclaircies. Or, donc, mercredi, Emmanuel Macron énonçait son plan d’attaque, jugé bien vague par plusieurs.
En gros, l’annonce présidentielle d’une année blanche (sans justificatifs à montrer) pour les intermittents leur fournit des mesures de soutien fort attendues. Celles-ci viennent prolonger les droits de ces pigistes (100 000 artistes et techniciens) jusqu’à la fin d’août 2021, ce qui leur permettra de se sustenter en attendant la fin de l’orage. Ajoutez un fonds d’indemnisation temporaire pour les tournages de films et de séries paralysés par la COVID-19 et un programme de commandes publiques, surtout à l’intention des jeunes créateurs (des voix crient au jeunisme).
Du côté des festivals, dont Cannes et Avignon, le couperet était déjà tombé et on imagine mal comment leurs rassemblements auraient pu s’envisager sous l’assaut du virus. Emmanuel Macron souhaite toutefois que des lieux de création et de diffusion revivent dès le 11 mai : librairies, médiathèques, certains musées, disquaires, galeries d’art. Et aussi la reprise de répétitions théâtrales avec ouverture de guichets sur des modèles à réinventer.
Ça reste nébuleux, donc, et le secteur du patrimoine, privé de touristes, se sent à bon droit oublié. Les détails suivront. De nouvelles précisions seront apportées fin mai, début juin, entre autres sur la renaissance éventuelle des salles de cinéma au pays de la cinéphilie. Les salles obscures étant mieux à même d’instaurer des mesures de distanciation, on les imagine reprendre du service là-bas en juin ou en juillet, à vue de nez.
Nez pour nez, en ce moment, les exploitants des cinémas français trouvent difficile à avaler que le beau conte filmé Pinocchio (vu à la Berlinale), revisité avec panache par l’Italien Matteo Garrone, mettant en scène Roberto Benigni en émouvant Geppetto, ait été lancé le 4 mai sur Amazon Prime Video en France. Des jours meilleurs viendront…
Je vous parle de la France parce qu’à regarder ce qui se passe ailleurs, on peut mieux préparer nos lendemains au royaume des arts et des lettres. L’instauration peu ou prou d’une année blanche culturelle pour les pigistes aiderait le Québec à mettre en place des mesures de protection supplémentaires dans un horizon aussi embrouillardé sur les rives du SaintLaurent que sur celles de la Seine.