Le Devoir

La persistanc­e du virus sexiste

Deux sociologue­s françaises analysent un mal plus tenace que la COVID-19

- CRITIQUE MICHEL LAPIERRE COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Le Jour de la Terre, le 22 avril dernier, un entretien médiatisé entre la militante Greta Thunberg et le scientifiq­ue Johan Rockström a surpris par la mention de « l’étroit rapport entre la crise causée par la pandémie et la crise écologique ». L’intérêt féminin pour ces mots transfigur­erait-il notre vision du monde ? En tout cas, le divorce en 2019 d’un couple ultrariche a montré que « le capital reste une affaire d’hommes ».

C’est la conclusion des sociologue­s françaises Céline Bessière et Sibylle Gollac, dans l’essai Le genre du capital sur la reproducti­on familiale des inégalités. Financière­ment, elles y analysent, entre autres, le divorce de l’homme le plus riche du monde, Jeff Bezos, qui, malgré son patronyme cubain reçu du second mari de sa mère, s’appelait à la naissance Jorgensen comme son père, nom reflétant ses ancêtres scandinave­s et anglo-saxons arrivés il y a longtemps aux États-Unis.

Avant le divorce d’avec sa femme et partenaire d’affaires depuis 25 ans, MacKenzie Tuttle, également de souche américaine, Bezos, fondateur d’Amazon, multinatio­nale de commerce électroniq­ue basée à Seattle, avait avec elle un patrimoine commun de 130 milliards. Divisé en parts égales de 65 milliards, ce capital risque de lui faire perdre le contrôle d’Amazon ! Féministes et sarcastiqu­es, les deux sociologue­s commentent : « Toute la finance mondiale tremble ».

Mais un arrangemen­t à l’amiable profite à Bezos et rassure les Bourses de la planète. Au lieu de 65 milliards, MacKenzie Tuttle n’en obtient guère plus que 35. Bezos garde tout le reste du patrimoine et garantit ainsi son contrôle d’Amazon. On attribue cette injustice au préjugé en faveur de la supériorit­é masculine en affaires, mais aussi à la tradition juridique américaine, issue de la common law anglaise et plus souple, voire plus élastique que la tradition née du Code civil napoléonie­n (1804).

Cette dernière, fondée sur la notion d’égalité, Céline Bessière et Sibylle Gollac la jugent « nettement plus favorable aux femmes que la

common law ». Malgré cela, elles reprochent aux actuelles magistrate­s françaises de contribuer « à l’appauvriss­ement des femmes au moment du divorce, y compris dans les classes supérieure­s possédante­s », par « leur forte réticence » à fixer des prestation­s compensato­ires.

Elles soulignent que, par un paradoxe, ces magistrate­s, nombreuses et fières d’une indépendan­ce financière enfin conquise, se sentent plus solidaires des hommes qu’elles ont réussi à égaler que de leurs soeurs moins émancipées qu’elles ! Le rejet par nos essayistes de la masculinis­ation de ce faux féminisme ravit.

L’acuité du regard les rapproche de Greta Thunberg qui, en avril, disait : « La crise du coranaviru­s a montré que notre société n’est pas durable. » Cela pousse à résoudre la crise écologique, combien plus terrible.

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1/2 Céline Bessière et Sibylle Gollac, La Découverte, Paris, 2020, 336 pages
Le genre du capital Comment la famille reproduit les inégalités 1/2 Céline Bessière et Sibylle Gollac, La Découverte, Paris, 2020, 336 pages

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