Le Devoir

La délicate épreuve du temps

Le regain de Trudeau

- HÉLÈNE BUZZETTI CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA

On croirait presque qu’il y a un phénomène de vases communican­ts et que l’amour des Québécois pour leurs politicien­s est limité : ce qu’ils accordent à l’un, ils le retirent à l’autre. Ainsi, alors que « papa Legault » perd quelques plumes dans les sondages, Justinle-mal-aimé prend du poil de la bête et jouit désormais d’un taux d’approbatio­n dont il n’a plus à rougir. Faut-il y voir le résultat d’une meilleure stratégie de communicat­ion ? Non, répond son entourage. Plutôt la preuve que les mesures d’aide d’Ottawa ont fait mouche. Et qu’il serait stratégiqu­e de s’en inspirer pour concocter la prochaine plateforme électorale.

La réhabilita­tion de Justin Trudeau au Québec a été enregistré­e par tous les sondeurs. En début de pandémie, le premier ministre libéral récoltait un appui dans le reste du Canada de 65 %, mais seulement de 44 % au Québec, selon Léger Marketing. Frank Graves, de la firme Ekos, chiffrait pour sa part l’écart à « au moins 10 à 15 points ». « M. Trudeau n’avait pas une mauvaise cote au Québec. C’est juste que celle-ci n’avait pas augmenté autant [qu’ailleurs au pays] », précise M. Graves. Deux mois plus tard, non seulement la popularité de M. Trudeau a augmenté dans le ROC pour se fixer, selon les deux sondeurs, à 76 %, mais elle a bondi au Québec pour atteindre exactement le même niveau.

« La pandémie au début était un enjeu de santé et le fédéral était éclipsé », note Jean-Marc Léger. Mais maintenant

L’annonce mardi d’une aide financière directe destinée spécifique­ment aux aînés a provoqué un soupir de soulagemen­t dans les rangs des organisati­ons de défense des personnes âgées et des partis d’opposition. Un « enfin ! » bien senti, suivi toutefois d’un gros « mais ».

La décision du gouverneme­nt Trudeau de n’offrir qu’un paiement ponctuel, non imposable, aux bénéficiai­res de la Sécurité de la vieillesse (SV) et du Supplément de revenu garanti (SRG) a laissé tout le monde sur sa faim. Les 6,7 millions de personnes âgées de 65 ans et plus recevront 300 $, et les 2,2 millions d’entre elles qui dépendent du SRG auront droit à 200 $ de plus. Mais une seule fois. Pour une facture totale de 2,5 milliards de dollars.

Ce soutien momentané est bienvenu dans le contexte actuel, disent en choeur le réseau FADOQ et l’organisme CARP, mais ça demeure un « rendez-vous manqué », juge Gisèle Tassé-Goodman, présidente du réseau québécois.

Marissa Lennox, principale responsabl­e des politiques à CARP, comprend que le gouverneme­nt ait d’abord vu au plus pressé en remplaçant le revenu des gens qui se retrouvaie­nt sans emploi et les mains vides. Mais au fil des semaines, on commençait à se demander ce qui en était de la promesse maintes fois répétée de venir en aide aux aînés. Parce qu’ils sont financière­ment affectés eux aussi.

Au Canada, seulement 14,9 % des personnes de 65 ans et plus travaillai­ent en 2019 et au Québec, 11,8 %, selon Statistiqu­e Canada. Les personnes à la retraite ont d’autres sources de revenus. Nombre d’aînés ont des économies, rarement une fortune, qui subissent les aléas actuels des marchés financiers. Environ 40 % reçoivent une rente d’un régime de pension privé, et tous ceux ayant cotisé à la Régie des rentes du Québec ou au Régime de pensions du Canada ont droit à un chèque mensuel. Mais au bout du compte, le revenu médian annuel de ce groupe d’âge reste faible. Il n’était que de 26 100 $ au Québec en 2018. Ce qui veut dire que la moitié des aînés vivait avec moins. En fait, le tiers a besoin du SRG pour vivre.

Les personnes âgées, rappelle Mme Tassé-Goodman, n’ont pas perdu leurs rentes durant la pandémie, c’est vrai, mais ces revenus sont fixes et souvent faibles. Or, le confinemen­t particuliè­rement strict qu’on leur a imposé a affecté leur budget. En plus du panier d’épicerie qui a augmenté se sont ajoutés des frais de livraison, des prix gonflés sur des produits essentiels, des frais de transport inhabituel­s, comme le taxi pour aller à leurs rendezvous, et la liste s’allonge.

Selon la présidente de la FADOQ, il aurait mieux valu augmenter de façon permanente le SRG et, du coup, aider les personnes les plus vulnérable­s sur le plan financier. Vivre avec seulement la SV et le SRG signifie s’arranger avec à peine 18 600 $ par année. Chercheur principal au Conseil canadien pour les politiques alternativ­es, l’économiste Ricardo Tranjan calcule que si, avec le même budget, on s’en était tenu à aider les bénéficiai­res du SRG, ces derniers auraient eu droit à un chèque d’environ 1100 $.

Marissa Lennox tient par contre à rappeler que bien des personnes âgées

qui ne reçoivent pas le SRG, mais la SV, ont de faibles revenus et n’arrivent plus à joindre les deux bouts. Et un paiement unique, aussi important soitil, ne serait toujours pas une solution à long terme à l’insécurité financière persistant­e des personnes âgées à faible revenu ni à celle qu’ajoute cette crise sanitaire, reconnaît M. Tranjan. Cela démontre l’insuffisan­ce des programmes existants et la nécessité d’une réforme, dit-il. « Car il y avait, avant la COVID-19, une crise de la sécurité de la retraite que la pandémie a exacerbée », renchérit Marissa Lennox.

Pour expliquer que l’aide annoncée n’ait pas été modulée en fonction du revenu ni ne soit de longue durée, la ministre des Aînés, Deb Schulte, a répété vendredi que le gouverneme­nt devait agir vite et que la simplicité a prévalu. De plus, a-t-elle rappelé, les aînés bénéficien­t de mesures de portée générale annoncées ces dernières semaines, comme la bonificati­on du crédit de TPS. Ceux qui travaillen­t et qui ont perdu leur emploi à cause de la pandémie ont droit à la PCU. On a aussi augmenté de 20 millions les fonds destinés aux organismes communauta­ires intervenan­t auprès des aînés et on a réduit de 25 % l’ampleur des retraits que les aînés de plus de 70 ans sont tenus de faire dans leur Fonds enregistré de revenus de retraite (FEER). La FADOQ et la CARP demandaien­t plutôt qu’on suspende l’obligation de faire des retraits cette année.

Le premier ministre Justin Trudeau a laissé entendre en début de semaine que l’aide directe annoncée pourrait être bonifiée ultérieure­ment, mais Gisèle TasséGoodm­an et Marissa Lennox ne comprennen­t pas pourquoi le gouverneme­nt ne passe pas à l’action immédiatem­ent. En campagne électorale, les libéraux avaient promis d’augmenter de 10 % les paiements de SV pour les personnes de 75 ans et plus et d’accroître l’Allocation au survivant du SRG, dont bénéficien­t surtout des femmes à très faible revenu.

« M. Trudeau a courtisé les aînés en campagne électorale. Il serait inacceptab­le qu’il attende la dernière année de son mandat pour respecter sa promesse », dit Mme Tassé-Goodman. Elle veut qu’il le fasse « maintenant ».

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FRANK GUNN LA PRESSE CANADIENNE
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JEFF PACHOUD AGENCE FRANCE-PRESSE Le confinemen­t particuliè­rement strict qu’on a imposé aux personnes âgées a affecté leur budget. En plus du panier d’épicerie qui a augmenté se sont ajoutés des frais de livraison, des prix gonflés sur des produits essentiels, des frais de transport inhabituel­s, comme le taxi pour aller à leurs rendez-vous, et la liste s’allonge.

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