Legault, après le moment de grâce
Le taux de satisfaction à l’égard de la gestion de la crise par le premier ministre François Legault a grimpé jusqu’à 99 % dans les jours suivants le début de l’état d’urgence sanitaire, selon un sondage commandé par le ministère du Conseil exécutif.
Les appuis à l’égard du gouvernement se sont effrités depuis. La proportion des Québécois satisfaits des mesures déployés par le gouvernement pour combattre la pandémie est passée de 94 % à 77 % du 23 mars au 11 mai, selon Léger.
La mise au jour de la tragédie du CHSLD privé Herron dans le quotidien Montreal Gazette le 11 avril dernier a été le « point de bascule ». « Il y a eu un avant et un après Herron », souligne un membre de la garde rapprochée de M. Legault au Devoir.
Dans un état de « stress aigu », la population a fait bloc derrière l’équipe de François Legault, qui multipliait les initiatives pour repousser l’assaut de la COVID-19. « C’était irréel. Dans une crise, les citoyens se tournent vers leur gouvernement. C’est le ralliement. Après, c’est le retour à la normale. On n’est pas déstabilisés, poursuit-il. C’était vraiment le fun, mais on savait très bien que ça n’allait pas durer. Ça fait partie du retour à la normale », ajoute un de ses collègues.
Le récit de dizaines de résidents laissés à eux-mêmes dans le CHSLD Herron après le départ d’employés terrassés par le nouveau coronavirus — ou encore la peur — fait par le journaliste
Aaron Derfel a mis en lumière la fragilité du réseau de la santé.
Engourdi, le débat sur l’action du gouvernement a alors repris progressivement.
Le plan de déconfinement élaboré par l’équipe de François Legault suscite l’inquiétude de parents d’enfants inscrits dans un service de garde ou dans une école, de propriétaires de commerces, d’artistes ou encore de propriétaires de gîte touristique voyant la saison estivale glisser entre leurs doigts. Les « ajustements » que le gouvernement y apporte aussi.
Climat de crainte à Montréal
58 % des Montréalais craignent de contracter la COVID-19, comparativement à 52 % de l’ensemble des Québécois, selon un coup de sonde dévoilé au cours de la semaine par Quebec Community Groups Network et l’Association d’études canadiennes. Sur l’île de Montréal, 50 % des francophones, mais 72 % des anglophones et 66 % des allophones craignent d’être frappés par le nouveau coronavirus.
Appelé à commenter les résultats du sondage, M. Legault a pris en grippe le Montreal Gazette et, par ricochet, son reporter à la santé, Aaron Derfel. En conférence de presse, il leur a attribué une « certaine responsabilité » dans l’inquiétude qui a gagné la population anglophone.
Cela dit, la situation demeure « inquiétante » dans la métropole, répètet-il jour après jour.
Le premier ministre s’est rendu dans l’épicentre de la crise pour la première fois depuis la semaine du 8 mars : un déplacement plus « symbolique » que pratique, convient-on dans son entourage. Pour donner l’exemple, il n’avait pas mis les pieds dans sa résidence privée située dans l’arrondissement Outremont ces deux derniers mois.
Le chef du gouvernement s’est adressé à la presse montréalaise jeudi et vendredi dans la cinquième salle de la Place des Arts. Pour précaution, les journalistes étaient dispersés, les micros désinfectés, la lumière tamisée. Derrière une bannière sur laquelle le slogan « On continue de se protéger » apparaissait, il a annoncé l’une des décisions les plus difficiles qu’il a prises depuis le début de la pandémie : fermer les écoles du Grand Montréal jusqu’à la rentrée d’août-septembre.
M. Legault a évoqué au fil des dernières semaines un retour en classe à Montréal le 19 mai, puis le 25 mai avant de se résoudre, sur les conseils de la Santé publique, à annuler le reste de l’année scolaire 2019-2020. Comme il l’a anticipé, certains ont salué sa décision, tandis que d’autres l’ont critiquée. « C’est difficile en maudit de repousser à plus tard le déconfinement », souligne un de ses proches conseillers.
À l’extérieur du Grand Montréal, le déconfinement des écoles primaires est apprécié par une nette majorité des parents d’enfants ayant repris le chemin de l’école, fait remarquer un conseiller politique, en pointant un autre sondage.
Autre sujet de débat, voire de discorde, entre Québécois que le premier ministre a pris à bras-le-corps durant son passage dans la métropole : le port du masque.
Il a promis à la Ville de Montréal un million de masques et 6 millions de dollars pour munir de couvre-visages les résidents des quartiers les plus touchés par la COVID-19 et les usagers du transport en commun qui sont incapables de respecter la règle de distanciation de deux mètres.
Le port du masque entrera dans les « habitudes » des Québécois, s’est dit persuadé M. Legault.
Si ce n’est pas le cas, l’obligation de porter un couvre-visage dans certains endroits pourrait suivre. « Le virus ne partira pas demain matin », a-t-il dit. Au terme de la conférence de presse, il s’est levé et s’est tourné vers la sortie. À la vue de la mairesse Valérie Plante, dont la bouche et le nez étaient couverts, il s’est arrêté net pour remettre son masque.
Jeudi, 16h30. C’est masqué qu’il est sorti de son véhicule de fonction devant le Palais des congrès. Pourtant, aucune caméra de télévision à l’horizon. Entouré de ses gardes du corps, il est passé sous des enfilades de néons jaunes, puis a marché d’un bon pas vers une vaste salle où les dirigeants du réseau de la santé du Grand Montréal l’attendaient. M. Legault s’est dit moins intéressé à trouver des « coupables » des ratés de la crise parmi les gestionnaires aux traits tirés, mais tirés à quatre épingles, que des « solutions ». Il a, lui, réitéré l’idée de nationaliser les CHSLD privés où la peur de perdre la guerre contre la COVID-19 a d’abord surgi.
Déconfinement de l’opposition parlementaire
Par ailleurs, les députés d’opposition sont sortis de l’ombre cette semaine, y compris la nouvelle cheffe libérale, Dominique Anglade.
En 1998, le premier ministre Lucien Bouchard bénéficiait d’un moment de grâce durant la crise du verglas. Puis, Jean Charest a pris la barre du Parti libéral du Québec. Dominique Anglade, catapultée à la tête du PLQ deux décennies plus tard déstabilisera-t-elle le premier ministre François Legault ?
Élevée cheffe du PLQ en pleine crise, Mme Anglade n’a pu bénéficier du battage médiatique — du buzz — habituellement suscité par un changement de garde à la tête d’un parti politique qui a gouverné le Québec plus de 85 des 153 dernières années.
La députée montréalaise l’a appris à ses dépens. Après avoir donné le coup d’envoi de la période des questions pour la première fois, elle s’est adressée à la presse parlementaire dans le Salon rouge. « Il faut qu’on soit capables de reconnaître les bons coups puis il faut qu’on soit capables de dire : “Bien, il y a des choses qui ne fonctionnent vraiment pas. Puis il y a des manières de faire qui vont devoir être revues de la part du gouvernement.” Donc, je nous sens parfaitement légitimes de critiquer pourvu qu’on amène des propositions également », a déclaré Mme Anglade, dont l’objectif est de mener le PLQ au pouvoir lors des élections générales de 2022.
Malheureux hasard, le premier ministre et le directeur national de santé publique, le Dr Horacio Arruda, amorçaient au même moment leur point de presse. Les réseaux d’information continue s’y sont immédiatement tournés.