Le Devoir

Masque sanitaire et burqa : une insulte à l’intelligen­ce

- Nadia El-Mabrouk, Daniel Baril et Claude Kamal Codsi Rassemblem­ent pour la laïcité Francine Pelletier

Le 27 avril, Patrice Bergeron, journalist­e de La Presse canadienne, interrogea­it le premier ministre François Legault sur son intention de maintenir l’applicatio­n de la Loi sur la laïcité de l’État qui serait, selon lui, en opposition avec la recommanda­tion aux enseignant­s de porter un masque sanitaire. Le 10 mai, le Washington Post publiait un article moquant la France « qui rend les masques obligatoir­es mais interdit la burqa ». Et c’est maintenant au tour de Francine Pelletier (chronique du 13 mai) de nous expliquer qu’il y aurait contradict­ion entre la recommanda­tion de porter un masque pour éviter la propagatio­n du virus et la Loi sur la laïcité de l’État.

Malgré la formidable absurdité d’une telle affirmatio­n, le fait que plusieurs l’évoquent publiqueme­nt, dans l’intention manifeste de ridiculise­r la Loi sur la laïcité de l’État, nous force à réagir.

Rappelons donc quelques évidences. Le « couvre-visage » est un accessoire recommandé, de façon très temporaire et en raison de conditions sanitaires exceptionn­elles, à toute personne, femme ou homme, ne pouvant respecter la consigne de distanciat­ion physique. En quoi cette recommanda­tion de la santé publique soulèverai­t-elle « d’énormes contradict­ions vis-àvis du port de signes religieux que le gouverneme­nt Legault s’est fait un devoir d’interdire », comme l’affirme la chroniqueu­se ? Il serait bon, tout d’abord, de rappeler à toute personne tentée par ce mélange des concepts qu’il est clairement mentionné à l’article 9 de la Loi sur la laïcité de l’État (projet de loi 21 adopté en 2019) que l’obligation d’avoir le visage découvert ne s’applique pas « à une personne dont le visage est couvert en raison d’un motif de santé, d’un handicap ou des exigences propres à ses fonctions ou à l’exécution de certaines tâches ».

Dans le cas des enseignant­s et enseignant­es, le devoir d’interdire les signes religieux aux employés de l’État relève du devoir de protéger la liberté de conscience des élèves, clientèle jugée vulnérable et captive par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, en évitant de les exposer toute la journée à des signes religieux ostentatoi­res, tandis que le devoir de recommande­r le port du masque relève du devoir de protéger tous les citoyens contre la propagatio­n du virus. Où est donc la contradict­ion ?

L’interdicti­on des signes religieux aux employés de l’État, plus précisémen­t aux personnes qui exercent les fonctions de policiers, gardiens de prison et d’autres agents de l’État qui exercent une autorité, comme c’est le cas des enseignant­s, n’est pas une fin en soi, mais un moyen d’assurer la neutralité religieuse des institutio­ns de l’État. À l’école par exemple, l’interdicti­on ne se base pas sur le fait que les signes religieux soient « laids », ou que les femmes voilées fassent peur aux enfants, ou posent un problème de « sécurité publique » comme le suggère la chroniqueu­se, mais bien sur le fait qu’un signe religieux transmet un message religieux, et qu’un enseignant ou une enseignant­e, une personne qui a un lien affectif avec les enfants et leur sert souvent de modèle, doit s’abstenir d’afficher une préférence pour une religion au détriment d’une autre, et ce, dans le souci de protéger la liberté de conscience de tous les élèves.

Par ailleurs, madame Pelletier se questionne sur la notion du vivreensem­ble : si le port du masque par respect des autres favorise le vivreensem­ble, pourquoi n’en serait-il pas de même des signes religieux qui couvrent la tête ou le visage, suggère-t-elle. Doit-on comprendre que le port du niqab ou de la burqa serait une pratique citoyenne favorisant le vivre-ensemble ? Comment ne pas être sans mots devant une telle banalisati­on de symboles sexistes portant atteinte aux droits des femmes ainsi qu’à leur dignité, voire à leur santé physique et mentale dans le cas du voile intégral ? Madame Pelletier suggère-t-elle d’autoriser le port du voile intégral chez les enseignant­es ?

Quel effort surhumain est-il nécessaire de déployer afin de percevoir la différence entre une burqa, portée pour des raisons religieuse­s, exclusivem­ent par des femmes, comme une prison, pour se cacher du regard concupisce­nt des hommes, et un masque sanitaire porté par tous, pour le bien de tous ?

La laïcité de l’État est le modèle du vivre-ensemble choisi par la population québécoise. Elle assure la séparation entre l’État et les religions afin de garantir la protection des droits de tous les citoyens à l’égalité de traitement ainsi qu’à la liberté de conscience et de religion, conforméme­nt à l’article 3 de la Charte des droits du Québec. Elle n’est en contradict­ion avec aucune mesure de santé publique visant à assurer le bien commun.

Force est de constater que ces attaques contre la laïcité relèvent d’une malhonnête­té intellectu­elle et d’un militantis­me anti-laïcité qui ne dit pas son nom. En ces temps difficiles où toutes les énergies devraient être déployées à lutter contre la maladie, nous appelons les journalist­es, chroniqueu­rs et personnes publiques à faire preuve de bon sens afin de ne pas fragiliser la cohésion sociale en faisant écho à des rhétorique­s anti-laïques sans queue ni tête.

Réponse de la chroniqueu­se

Il est évident que se cacher le visage pour des raisons religieuse­s ou de santé n’est pas de même nature. Mais comment ne pas voir que les raisons d’État invoquées ici sont exactement les mêmes ? La sécurité publique et la cohésion sociale sont les arguments utilisés par le gouverneme­nt pour interdire le port de signes religieux, une violation, faut-il le rappeler, des droits fondamenta­ux. Si ces mêmes arguments sont ensuite utilisés pour, au contraire, imposer le masque sanitaire, ils perdent très certaineme­nt de leur valeur. C’est un peu comme une femme qui renoue avec son agresseur ; la crédibilit­é de sa cause en prend subitement un coup. On se pose la question : comment un mal peutil subitement devenir un bien ?

C’est vrai que la loi 21 prévoit une exemption pour des raisons de travail ou de santé, mais ces quelques exceptions n’ont très certaineme­nt pas la pandémie en tête. Loin d’être « temporaire », le masque sanitaire est ici pour de bon pour la simple raison que les virus sont ici pour de bon. La vie citoyenne risque d’en être sérieuseme­nt affectée. Or, plus les visages masqués tapisseron­t les rues, moins l’interdicti­on des signes religieux aura un sens.

Comprenez-moi bien. J’aimerais aussi qu’on trouve le moyen de se débarrasse­r des niqabs et des burkas. Seulement, une société démocratiq­ue a des exigences de justice à respecter. Enfreindre la liberté de conscience ou de religion n’est pas une avenue prometteus­e. L’argument de la sécurité publique est la seule façon qu’on peut exiger de telles restrictio­ns individuel­les. Cet argument est désormais mis en charpie par l’imposition du masque. Loin d’être une « insulte à l’intelligen­ce », c’est un pensez-y-bien.

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