Des électeurs désenchantés
L’intervention cette semaine de l’ancien premier ministre conservateur Stephen Harper, qui a critiqué les dépenses hallucinantes qu’engagent les gouvernements en Occident pour faire face à la crise du coronavirus, a semé la consternation dans les rangs du parti qu’il avait dominé pendant plus d’une décennie jusqu’en 2015. Prenant lui-même la plume dans les pages du prestigieux Wall Street Journal, M. Harper a adressé un avertissement à tous ceux pour qui cette hausse sans précédent des dépenses publiques (en dehors d’une période de guerre) signifierait le retour l’État-providence. L’ancien chef conservateur prévoit plutôt des lendemains de crise difficiles où les gouvernements qui « ne pratiqueront pas une austérité douce de façon proactive se feront imposer l’austérité d’une forme plus brutale ».
L’avertissement de M. Harper est arrivé au mauvais moment pour les conservateurs. Ils ne souhaitent surtout pas raviver le souvenir des compressions budgétaires instaurées après la crise de 2008-2009 alors que des millions de Canadiens vivent plus que jamais dans l’insécurité en ne sachant pas s’ils pourront retrouver leur vie d’avant la crise.
Vendredi, le chef par intérim, Andrew Scheer, a encore une fois accusé le premier ministre, Justin Trudeau, de se servir de la pandémie pour « échapper à la reddition de comptes et à la surveillance des partis d’opposition » en refusant une reprise des travaux normaux à la Chambre des communes. Mais à quoi bon servirait la reprise des travaux si les conservateurs, en pleine course à la chefferie, ne savent pas eux-mêmes où donner de la tête ? S’il est légitime de vouloir interroger les membres du gouvernement au sujet des actions qu’ils mènent pour surmonter la crise sanitaire, les élus conservateurs ne semblent pas vraiment avoir le coeur à l’ouvrage.
Depuis le début de la crise, les libéraux ont vu leur avance dans les sondages monter en flèche. Les mesures d’aide annoncées par le gouvernement sont extrêmement populaires auprès des Canadiens. M. Trudeau semble lui-même avoir repris le goût du pouvoir après avoir fait preuve d’une certaine lassitude dans la foulée des élections d’octobre dernier.
Prenant lui-même la plume dans les pages du prestigieux Wall Street Journal, M. Harper a adressé un avertissement à tous ceux pour qui cette hausse sans précédent des dépenses publiques (en dehors d’une période de guerre) signifierait le retour l’État-providence. L’ancien chef conservateur prévoit plutôt des lendemains de crise difficiles où les gouvernements qui « ne pratiqueront pas une austérité douce de façon proactive se feront imposer l’austérité d’une forme plus brutale ». En revanche, les conservateurs, qui ont débuté l’année 2020 avec le vent dans les voiles à la veille d’une course à la chefferie qui s’annonçait épatante, ont perdu de leur élan. Ayant reporté au 21 août la date de l’élection de son nouveau chef, certains militants préféreraient profiter de la crise pour recommencer à zéro afin d’attirer de nouveaux candidats dans la course. Aucun des quatre prétendants actuels, lesquels avaient jusqu’à vendredi pour recruter de nouveaux membres au parti, ne soulève les passions. Plusieurs militants craignent que la course ne se termine en queue de poisson.
Celui qui a commencé la course avec une longueur d’avance sur ses adversaires, l’ancien ministre Peter MacKay, a perdu des plumes avec une série de gaffes. Considéré comme un modéré, il a néanmoins flirté avec le populisme de droite avec des sorties bâclées sur les séances de yoga de M. Trudeau et les droits des personnes transgenres. Ces incidents lui ont coûté cher, amenant beaucoup d’observateurs à douter sérieusement de son jugement. Ses capacités limitées en français ne l’ont pas empêché d’avoir gagné, en début de course, l’appui de quatre des dix députés conservateurs du Québec. On se demande s’ils regrettent maintenant leur choix.
La décision récente du député de Chicoutimi-Le Fjord, Richard Martel, d’appuyer Erin O’Toole dans la course a donné à beaucoup de gens l’impression que le vent est train de tourner. M. O’Toole, qui a fait carrière dans les Forces armées canadiennes avant de travailler dans un grand cabinet d’avocats de Toronto, s’est fait élire dans une élection complémentaire en 2012 dans la circonscription ontarienne de Durham. Fils d’un travailleur de l’automobile, ayant terminé troisième lors de la dernière course conservatrice en 2017, M. O’Toole a adopté un ton plus à droite depuis qu’il est devenu candidat à la chefferie pour la deuxième fois. La stratégie semble avoir porté ses fruits, lui permettant de presque rattraper M. MacKay dans certains sondages. L’appui du premier ministre albertain Jason Kenney a donné un sérieux coup de pouce à M. O’Toole dans l’ouest du pays, où il a amassé plus d’argent que M. MacKay. Mais M. O’Toole n’a guère plus de charisme que M. Scheer et demeure presque inconnu du grand public.
Si aucun des deux principaux candidats ne ramasse plus de 50 % des « points » lors d’un premier tour de scrutin — chacune des circonscriptions aura un poids égal, peu importe le nombre de membres qui votent — ce serait aux militants des candidats les plus à droite, Derek Sloan et Leslyn Louis, de couronner le prochain chef lors d’un deuxième ou d’un troisième tour. L’issue de la course demeure ainsi hautement imprévisible. Ce qui ne veut pas dire que les militants retiennent actuellement leur souffle. Si, en début de course, les conservateurs avaient l’impression de s’apprêter à choisir un prochain premier ministre, beaucoup d’entre eux ont déchanté depuis.