Quelle place pour les arts vivants en confinement ?
L’édition 2020 du FTA existe autrement, à travers des balados et des carnets de son directeur, Martin Faucher
Normalement, à cette date-ci, Montréal s’apprêterait à vivre au rythme fébrile de son festival international de danse et de théâtre. L’absence du Festival TransAmériques laisse un grand vide. Et devant l’annulation forcée de sa 14e édition, son codirecteur général et directeur artistique, Martin Faucher, traverse une intense période de questionnement. « Il y a un deuil et en même temps, une espèce de flottement, d’incertitude. On est en réunions perpétuelles. Quoi d’autre pourrait avoir lieu ? Le rôle du festival n’a jamais autant été soupesé. Quelle place prendre ? »
Martin Faucher, qui espère reporter à l’an prochain plusieurs des 22 spectacles prévus pour l’édition 2020, est ramené à l’essence de ce qu’est un festival. « C’est beaucoup plus qu’une programmation en salle, rappelle-t-il. Les jeunes participants internationaux du séminaire, les cliniques dramaturgiques… Il y a toute une arborescence incroyable qu’on a constatée en la détricotant. En fait, le festival, je me rends compte que c’est une relation d’intimité. » Et, bien sûr, une réunion de gens.
Le rassemblement et l’intimité : deux notions justement mises à mal par la distanciation sociale. Durant quelques semaines, l’équipe du FTA a travaillé fort afin de traduire des spectacles scéniques en spectacles virtuels. Ces deux ambitieux projets ont toutefois été abandonnés, le délai étant trop court pour en garantir la qualité. Et les artistes eux-mêmes affichaient une réticence. « Ils se demandaient : “Est-ce que ça me tente vraiment de créer ? C’est une plateforme que je connais moins, ça va sortir comment ?” Et dans l’un des projets, on leur proposait de créer à partir de leur réalité présente. Certains s’en disaient incapables, n’ayant pas de recul. »
Mais pour Faucher, le questionnement était aussi plus large. « Si on lance un festival réinventé, est-ce qu’on est un plus, ou bien on vient rajouter au bruit, à un surcroît d’offres », dans un contexte où abondent déjà les informations essentielles et les occasions de s’en évader en ligne ? « Faudrait-il plutôt écouter le silence qui nous est imposé actuellement ? »
Parenthèses méditatives
Au final, cette version singulière du FTA prendra la forme de balados et de
carnets que le directeur publie sur le site du festival. Des textes impressionnistes aux accents poétiques qui montrent une « facette inusitée » de l’événement. « Très rapidement, ça a été ma façon personnelle de faire en sorte que malgré tout, le festival existe. Il fallait que je parle de ces spectacles. Je les revisite en disant ce qui m’a amené à telle oeuvre, ou à quoi je la relie, à Montréal ou dans ma propre vie. »
Son sixième et dernier carnet paraîtra en ligne le 20 mai, journée d’ouverture prévue de l’événement. Histoire de marquer le coup et de dire que « pendant la durée du festival, on est là quand même ». C’est aussi entre le 20 mai et le 3 juin que le FTA espère rendre disponibles (gratuitement) les quatre balados qu’il produit.
Réalisés par Antoine Bédard, ces segments sonores découlent de quatre rencontres avec des « sages » qui devaient se dérouler au quartier général du festival, une série intitulée
Habiter la vie. « L’édition 2020 était traversée par l’idée de la mort, de la disparition, portée par le spectacle d’Alain Platel, Requiem pour L. Même avant la COVID-19, beaucoup de choses étaient sur le point de disparaître. » En contrepartie, se sont demandé Martin Faucher et Jessie Mill, la dramaturge et conseillère artistique du festival, comment cette finitude nous incite-t-elle à envisager la vie sous un angle différent ?
Dans Le ciel, l’anthropologue abénaquise Nicole O’Bomsawin et l’imam soufi Cheikh Omar Koné échangent sur la spiritualité. La somme des pas
perdus offre le regard de l’écrivain et grand marcheur Daniel Canty sur Montréal. La philosophe et politologue Dalie Giroux s’intéresse à Nos ruines de
civilisation. Enfin, l’ornithologue Olivier Barden partage sa vaste connaissance de nos mélodieux compagnons. Ces réflexions qui invitent à la contemplation de ce qui nous entoure tombent pile durant cette période de pause forcée.
Le directeur y voit de lumineuses « parenthèses méditatives ». Et le balado permet une grande intimité. « Il y a une délicatesse dans cette forme qui me plaît beaucoup. Souvent, le FTA est associé au spectaculaire, aux oeuvres qui procurent un choc, esthétique ou du propos. Là, on est vraiment ailleurs. Et je pense qu’on a besoin d’un rapport plus intime actuellement, plus rassurant. » Quel avenir ? Comme plusieurs, Martin Faucher s’inquiète de l’avenir proche dans le domaine des arts de la scène.
« Actuellement, il y a des gens qui font des plans pour avoir des spectacles avec un seul interprète sur scène. » Mais est-ce que le public se sentira en sécurité dans une salle ? Et avec quelles modalités de représentation ? Tant d’inconnu subsiste encore. Avec la possibilité réelle que le retour à la normale ne se fasse pas avant 2021… « Il va falloir que, comme artistes, on trouve un moyen d’être quand même créatifs et d’en profiter pour transformer cette période en temps d’expérimentation, de discussions, de ressourcement. Et pas que chacun chez soi. »
Il sera aussi essentiel de repenser le contact avec le public. Si une salle ne peut être remplie qu’au quart de sa capacité, par exemple, elle pourrait diffuser « des conversations, des lectures publiques », au lieu d’une production, suggère-t-il. Le metteur en scène espère en tout cas que le milieu en profite pour revoir ses modes de fonctionnement. Soit ce modèle d’abonnements, d’embauche des artistes qui force les théâtres à prévoir leurs spectacles « souvent un, deux, même trois ans à l’avance. Une situation comme celle-ci peut nous permettre de revenir à l’essentiel quant à ce qui est pertinent de programmer. »
Chose certaine, il ne croit pas que le virtuel soit la réponse à tout. Les échanges humains qui précèdent les représentations dans un festival, le contact réel avec l’oeuvre n’ont pas de succédané. « Les arts font appel au sensuel. Le numérique est très commode et très démocratique. Mais il y a quand même un élément [sacrifié], au niveau des sens. »