Le Devoir

Le pic en santé mentale n’est pas atteint

Le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Îlede-Montréal s’attend à une vague

- MARCO BÉLAIR-CIRINO

Le chef de psychiatri­e au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, Gustavo Turecki, appréhende un bond des demandes de soutien en santé mentale de la part de la population durant la phase de déconfinem­ent. « La pression va sortir », avertit-il dans un entretien avec Le Devoir.

En Italie, le réseau de la santé a connu deux pics de patients abattus par la COVID-19 : un pic de patients nécessitan­t des soins de santé physique, puis un pic de patients nécessitan­t des soins de santé mentale. « On est prêts à Montréal pour répondre à ces besoins », affirme-t-il au Devoir.

La « peur » a assailli tout le monde depuis le début de l’état d’urgence sanitaire, le 14 mars dernier. « On a tous senti quelque chose. Moi aussi. Vous aussi, j’imagine. Personne n’est immun. Chaque personne va réagir à cette expérience de façon différente », souligne le médecin. La plupart des individus parviennen­t à « gérer » le « stress » dû aux bouleverse­ments provoqués par l’arrivée du virus. Ils dorment d’un sommeil paisible. Mais, pour d’autres, la formule « Ça va bien aller » n’apporte aucun réconfort.

« On s’attend, nous, à une vague », poursuit la directrice adjointe des programmes de santé mentale et dépendance­s au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Îlede-Montréal, Véronique Wilson. « Des usagers peuvent avoir une exacerbati­on de leurs symptômes, surtout si on parle d’anxiété, de dépression ou de stress post-traumatiqu­e. […] Mais il y a aussi la population qui n’avait pas de problème de santé mentale ou de troubles mentaux et qui, avec le confinemen­t, va en développer », ajoute la gestionnai­re, assise à l’une des tables de pique-nique dispersées sur la pelouse de l’Institut universita­ire en santé mentale Douglas.

Le CIUSSS a recensé les zones de vulnérabil­ité sociale — dans lesquelles se trouvent des familles monoparent­ales, des femmes victimes de violence ou encore des immigrants et des personnes âgées — dans lesquelles il devra redoubler d’efforts pour faire connaître son plan d’action en santé mentale. Le réseau devra aussi veiller à ne pas laisser en plan les adolescent­s suivis habituelle­ment en milieu scolaire, mentionne Mme Wilson.

Il y a aussi la population qui n’avait pas de problème de santé mentale ou de troubles mentaux et qui, avec le confinemen­t, va en développer

VÉRONIQUE WILSON »

« Si on allait déjà moins bien ou si on était déjà fragilisé, septembre, c’est très loin pour avoir accès à un service », fait-elle valoir.

Personne n’est à l’abri de l’anxiété, d’une dépression ou encore du trouble de stress post-traumatiqu­e. « On peut parler de stress post-traumatiqu­e dans certains cas. On peut parler de comporteme­nts évitants dans certains cas », explique le Dr Turecki. « Pendant deux mois, on était confinés dans notre maison, on a évité les contacts avec les gens qui ne font pas partie de notre noyau familial. Et réapprendr­e à sortir du confort de la maison, à avoir un certain nombre de contacts avec les gens, ça va être vécu d’une façon différente par chaque personne. Certaines personnes vont devenir plus phobiques. Elles vont avoir peur. Ça va leur prendre du temps à se réadapter à sortir de leur maison, à se réadapter à interagir avec les gens, même en portant un masque et en respectant la distance [de deux mètres], etc. »

D’ailleurs, des individus ont réagi positiveme­nt aux interdicti­ons de se rassembler et de se déplacer, qui ont été décrétées afin de freiner la progressio­n de la COVID-19 sur le territoire québécois. « Quand on est différent du reste des gens, on se sent mal. Quand on est le seul confiné parce qu’on n’a pas d’amis, de réseau, on se sent mal. Quand tous les gens sont confinés, on se sent moins mal », note le psychiatre.

Le Dr Gustavo Turecki a constaté de visu la détresse causée par la COVID19 au sein de la population. Le chef de psychiatri­e au CIUSSS de l’Ouest-del’Île-de-Montréal a accouru au centre d’hébergemen­t et de soins de longue durée (CHSLD) Grace Dart après l’annonce du décès de la préposée aux bénéficiai­res Victoria Salvan. « Les gens souffraien­t », relate-t-il.

Des soignants aussi touchés

En plus de rendre hommage à leur consoeur tombée au combat contre le nouveau coronaviru­s, les employés de l’établissem­ent ont pu se confier sur leurs conditions de travail auprès d’un des intervenan­ts psychosoci­aux dépêchés par le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Îlede-Montréal. « L’expérience dans les CHSLD était très difficile pour les cliniciens », martèle le Dr Turecki. « Très difficile. Vraiment très difficile. »

Des préposés aux bénéficiai­res, des infirmiers et des médecins sont gagnés par un sentiment d’impuissanc­e puisque plusieurs des résidents des

CHSLD meurent de la COVID-19 en dépit des efforts considérab­les qu’ils déploient pour les protéger. « Ils travaillen­t fort. Personne n’est fait en acier. Des situations épouvantab­les [se produisent. Elles] sont difficiles pour tous les gens, inclusivem­ent pour les soignants et les médecins. C’est important d’avoir la possibilit­é de partager, de discuter, de pleurer », soutient-il, invitant d’ailleurs les profession­nels de la santé à contacter des pairs aidants.

Les gestionnai­res du réseau sont aussi à bout de souffle, fait remarquer le spécialist­e de la dépression et du suicide. « Les gens travaillen­t sans arrêt, depuis deux mois et demi dans une situation de crise. Et ils font du mieux qu’ils peuvent. »

S’agit-il de bombes à retardemen­t ? « On ne peut pas rouler comme ça à long terme », répond le Dr Turecki, avant d’ajouter : « Les gens ont besoin de repos, ont besoin de se déconnecte­r, c’est important. »

 ?? MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR ?? Véronique Wilson et Gustavo Turecki posent devant l’auditorium de l’Institut Douglas.
MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Véronique Wilson et Gustavo Turecki posent devant l’auditorium de l’Institut Douglas.

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