Le Devoir

Le sauvetage de baleines noires menacé par la COVID-19 ?

L’accès au marché américain dépend aussi des mesures pour protéger l’espèce menacée

- ALEXANDRE SHIELDS

Le gouverneme­nt fédéral n’a pas encore décidé s’il autorisera cette année les opérations de sauvetage de baleines noires, en raison des règles pour stopper la pandémie. Les mesures de protection exceptionn­elles mises en place dans la foulée des mortalités records des dernières années sont pourtant essentiell­es pour préserver l’accès au lucratif marché américain pour les pêcheurs canadiens.

Les baleines noires sont progressiv­ement de retour dans le golfe du SaintLaure­nt pour la saison estivale et le gouverneme­nt fédéral a déjà mis en oeuvre depuis quelques semaines des mesures de protection prévues pour l’espèce. Plusieurs zones de pêche ont déjà été fermées par Pêches et Océans Canada (MPO) et Transport Canada surveille le respect des limites de vitesse imposées aux navires. Le gouverneme­nt espère ainsi limiter les principale­s menaces pour ce cétacé au seuil de l’extinction : les empêtremen­ts dans les engins de pêche et les collisions avec les navires.

Le Devoir a aussi demandé au MPO s’il autorisera cette année les opérations de sauvetage de baleines empêtrées et les nécropsies des animaux retrouvés morts, afin de déterminer les causes des décès. Ces opérations ont été menées à plusieurs reprises en 2017 et en 2019, puisque des baleines se sont prises dans des cordages d’engins de pêche et au moins 20 individus ont été retrouvés morts en eaux canadienne­s, sur une population totale d’à peine 400 bêtes.

« Pêches et Océans Canada évaluera tous les incidents avec des mammifères marins, tels que les échouement­s et les empêtremen­ts, et déterminer­a les interventi­ons au cas par cas. Le MPO évaluera également au cas par cas la nécessité de procéder à des nécropsies de grandes baleines », a-t-on indiqué dans une première réponse transmise par courriel. « En cas d’incident, le ministère prendra des décisions en travaillan­t en étroite collaborat­ion avec ses partenaire­s, et en utilisant les dernières directives des autorités de santé publique. »

Est-ce que les sauvetages de baleines empêtrées seront, oui ou non, autorisés ? « Tel qu’il a été mentionné, si un incident devait avoir lieu, le ministère prendra des décisions en étroite collaborat­ion avec nos partenaire­s, pour évaluer tout incident survenant avec des baleines noires de l’Atlantique Nord, et en vue de déterminer la meilleure interventi­on possible », a simplement répété le MPO, dans une seconde réponse.

Des sources bien au fait du dossier ont indiqué au Devoir qu’aucune décision définitive n’a été prise pour les opérations de sauvetage et les nécropsies dans le golfe du Saint-Laurent, où on a déjà observé jusqu’à 25 % de la population de l’espèce.

Pionnière dans la recherche sur la baleine noire de l’Atlantique Nord, la scientifiq­ue Moira Brown estime nécessaire de poursuivre les opérations de sauvetage des baleines noires, une espèce particuliè­rement vulnérable dans les régions où se pratique la pêche au homard ou au crabe des neiges. Mais Mme Brown juge que, pour aller de l’avant dans le contexte de la pandémie, de telles opérations devraient faire l’objet d’un « protocole » qui protège la santé des équipes impliquées.

Marché américain

Au-delà de la possibilit­é d’éviter la disparitio­n de la baleine noire de l’Atlantique Nord, les mesures de protection de l’espèce mises en place en eaux canadienne­s sont aussi essentiell­es pour protéger l’accès à un marché américain vital pour les pêcheurs, et notamment pour le crabe des neiges et le homard. Un bilan préliminai­re indique par exemple que la valeur des débarqueme­nts de crabe des neiges au Québec en 2019 a atteint 174 millions de dollars, contre 142 millions pour le homard. Et dans les deux cas, les États

Unis achètent la vaste majorité des crustacés exportés.

Or, les mortalités de baleines noires menacent directemen­t l’accès à ce marché. La législatio­n américaine Marine Mammal Protection Act (MMPA) impose en effet à l’industrie de la pêche, des États-Unis ou d’ailleurs, de démontrer que ses activités ne mettent pas en péril les mammifères marins. Si cette démonstrat­ion n’est pas faite, les Américains sont en droit de « bannir les importatio­ns » des produits de la pêche.

C’est précisémen­t ce qu’ont évoqué plus tôt cette année des élus démocrates et républicai­ns, qui ont fait une demande par écrit au secrétaire au Commerce, Wilbur Ross, un membre de la garde rapprochée du président Donald Trump. Dans leur lettre, ils citent explicitem­ent les engins de pêche au crabe des neiges des pêcheurs canadiens comme étant « le principal responsabl­e » des empêtremen­ts et des décès de baleines noires.

En théorie, l’industrie canadienne a jusqu’en 2022 pour se conformer aux dispositio­ns du MMPA. Mais le National Marine Fisheries Service, qui dépend du départemen­t du Commerce, peut invoquer les « répercussi­ons immédiates et considérab­les » des activités de pêche canadienne­s sur les baleines noires pour imposer dès maintenant un embargo. Aucune décision n’a encore été annoncée par le gouverneme­nt protection­niste de Donald Trump, qui n’a pas hésité à imposer des barrières commercial­es à ses partenaire­s économique­s par le passé.

Les opérations de sauvetage de baleines empêtrées et les nécropsies des animaux retrouvés morts ont été menées à plusieurs reprises en 2017 et en 2019

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