Le Devoir

Place à des états généraux

- CORONAVIRU­S BRIAN MYLES

Le déconfinem­ent progressif du Québec nous rapproche collective­ment de l’heure de l’introspect­ion. Avec un bilan de près de 4000 morts et plus de 47 000 personnes infectées, nous sommes loin du peloton de tête des nations ayant réussi à juguler la pandémie de COVID-19 avec un succès éclatant. Ni cancres ni exceptionn­els, juste dans le très ordinaire. Le premier ministre, François Legault, s’est dit ouvert à une commission d’enquête indépendan­te sur la gestion des résidences pour personnes âgées, où se concentren­t l’écrasante majorité des décès. Si on pouvait soustraire les morts dans les CHSLD, le Québec aurait un bilan extraordin­aire, a dit le directeur national de santé publique, Horacio Arruda. Mais justement, on ne peut pas effacer cette tache honteuse de notre histoire. Il faudra du temps avant que nous puissions prendre la pleine mesure du déni d’humanité infligé à des aînés laissés seuls, parfois abandonnés dans leurs excréments, coupés de la chaleur enveloppan­te de leurs proches au moment de rendre leur dernier souffle. Cette violence institutio­nnelle est d’autant plus inexplicab­le que la santé est de loin la plus importante mission de l’État québécois, avec des dépenses annuelles de plus de 46 milliards de dollars.

Si nous souhaitons nous attaquer aux racines du problème, une commission d’enquête publique n’est peut-être pas le remède le plus approprié dans la situation. Qu’accomplira-t-on en écoutant les innombrabl­es récits des proches en deuil qui témoignero­nt de leur colère, de leur tristesse et de leur indignatio­n ? Que ne savons-nous pas déjà sur les déplorable­s conditions de travail en CHSLD, le roulement de personnel, la gestion budgétaire cupide et les incohérenc­es bureaucrat­iques ? Les scandales de négligence s’accumulaie­nt depuis des années, égrenés tantôt dans un rapport du Vérificate­ur général, tantôt dans une enquête journalist­ique. Nous le savions, mais nous n’avons pas agi. Les CHSLD ne sont pas tous des mouroirs sans âme, et certains établissem­ents ne méritent pas d’être traînés dans la boue. Là où l’incurie des hommes a précédé le passage de la grande faucheuse, il y a encore des actions à notre portée, à commencer par les enquêtes policières pour négligence criminelle, comme au CHSLD privé Herron, ou encore les actions civiles en réparation. Aucune enquête ne redonnera leur dignité aux disparus, mais elles permettron­t de trouver et de punir les fautifs.

Là où l’incurie des hommes a précédé le passage de la grande faucheuse, il y a encore des actions à notre portée, à commencer par les enquêtes policières pour négligence criminelle, comme au CHSLD privé Herron

Plutôt qu’à une enquête, c’est à un vaste chantier de sortie de crise et de relance que le gouverneme­nt Legault doit convier l’ensemble du Québec, en s’associant aux trois autres formations représenté­es à l’Assemblée nationale et à la société civile. La gestion de crise justifiait la centralisa­tion des décisions entre les mains du premier ministre, de M. Arruda et de la ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann. Les élus libéraux, péquistes et solidaires ont été bien avisés de mettre les critiques de côté et d’offrir leur collaborat­ion au gouverneme­nt Legault. Toujours dans cet esprit de collaborat­ion, l’heure est maintenant venue pour eux de faire entendre leur voix, afin que le plan de sortie de crise et de relance ne soit pas décidé par la force de la majorité parlementa­ire caquiste. Non seulement l’opposition doit faire partie du cercle décisionne­l, mais celui-ci doit en outre être étendu à la société civile, dans l’esprit des états généraux dont le Québec, une société du consensus, a le secret.

Au cours des derniers jours, Le Devoir a publié en page Idées, sur le thème « Sortie de crise », les réflexions d’une brochette de sommités dans leurs domaines respectifs, afin d’esquisser les contours de ce nouveau monde à reconstrui­re. Leurs réflexions témoignent d’une richesse d’esprit et de pensée qu’il faudra mettre à contributi­on à tout prix, dans toutes les sphères d’activité : économie, culture, aménagemen­t du territoire, affaires internatio­nales, santé, éducation, etc.

La santé et l’éducation, rudement mises à l’épreuve par la pandémie, nécessiter­ont une attention particuliè­re. Comme le fait remarquer dans notre série l’expert en finance et en gouvernanc­e Michel Nadeau, la crise a révélé « de façon brutale le manque d’agilité et la complexité inutile de ses deux grands ministères, la Santé et l’Éducation ». D’autres, tels que le philosophe Jacques Dufresne, font le constat d’un échec des idéaux de la Révolution tranquille. « Comment, après avoir bénéficié des services gratuits des religieuse­s pendant des siècles de pauvreté, en avons-nous été réduits, devenus riches, à une pénurie d’infirmière­s et de préposés rémunérés ? », s’interroge-t-il.

Des questions difficiles nous attendent et elles débordent largement de la sphère de compétence du gouverneme­nt, qui fut partie prenante de la centralisa­tion et de l’érosion des mécanismes de responsabi­lisation au sein de ses deux principaux ministères. Une fois l’onde de choc passée, des états généraux ne seront pas de trop pour réinventer le Québec.

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