Le Devoir

Réjouissan­t et improbable succès

- JEAN-BENOÎT NADEAU

En ces temps étranges de morosité sanitaire, je me suis beaucoup réjoui début mai de voir les prestigieu­x prix JudithJasm­in (les JJ) récompense­r Nomade, une série de reportages sur le monde francophon­e. Par-dessus le marché, il s’agissait d’une série franco-ontarienne produite par ONFR+, la plateforme numérique de Groupe Média TFO. À mes yeux, ce JJ (catégorie Art et culture et Art de vivre) récompense tout autant le travail remarquabl­e des lauréats, le journalist­e Étienne Fortin-Gauthier et la réalisatri­ce Andréanne Baribeau, que les efforts constants de TFO pour se démarquer dans l’univers numérique.

J’ai souvent parlé dans cette chronique du phénomène TFO et de son improbable succès internatio­nal. ONFR+ en constitue un autre jalon. À mon avis, ce nom bizarre d’ONFR+ (abrégé d’Ontario français) deviendra vite familier, car il circule de plus en plus dans les moteurs de recherche. D’autant qu’ONFR + était également en nomination pour un autre prix Judith-Jasmin. En mars, l’équipe s’est également signalée avec une mention honorable au prestigieu­x prix Hillmans, qui récompense le journalism­e d’enquête, pour la série Les accents sur l’insécurité linguistiq­ue.

« ONFR+, c’est tout juste quinze personnes, dont cinq journalist­es, mais on réussit à faire beaucoup parce que notre mandat est pointu : on couvre l’actualité francophon­e de l’Ontario français plutôt que l’actualité en français », dit Étienne Fortin-Gauthier, un natif du Québec qui a pris fait et cause pour l’Ontario francophon­e pendant ses études de maîtrise à l’Université Glendon.

Après quatre années de travail intense, le journalist­e avait décidé de se payer six mois de sabbatique pour voyager en francophon­ie. L’idée s’est vite muée en projet de reportages qui l’a amené en Corée, au Japon, au Vietnam, au Cambodge, au Sénégal, en Roumanie, au Kosovo, en Serbie, en Belgique et en France — en tout neuf reportages, dont six sont déjà diffusés. « Parfois, je débarquais dans le pays avec une idée assez précise, comme pour mon reportage sur la Corée, dit-il. Par contre, ce n’est qu’à mon arrivée à Tokyo que j’ai découvert le “franponais”. » Le franponais est une espèce de français d’affichage qui tient plus du charabia rigolo que du français réel.

Le liant de la sauce, c’est l’angle humain, présent dans chaque reportage et appuyé par le fait que le journalist­e se filme lui-même avec son iPhone et une minicaméra. « J’ai rencontré plein de gens dont la vie a été transformé­e par le français. » Il cite cette jeune Cambodgien­ne, sortie du dépotoir où elle vivait, pour travailler désormais pour les touristes francophon­es. Ou ce jeune Kosovar, refusé comme réfugié en France, mais qui continue de rêver d’une vie meilleure en français. Ou ce secrétaire d’État cambodgien qui l’a reçu en français.

Même s’il validait tous ses sujets avec la réalisatri­ce et la productric­e Gisèle Quennevill­e, Étienne Fortin-Gauthier a bâti ses reportages autour de ses intuitions. « Au Vietnam, je voulais vérifier s’il s’agit bien du phare de la francophon­ie en Asie comme on le prétend (il ne l’est pas). Pour mon autre reportage, je me suis intéressé aux radios francophon­es de pays atypiques, comme KBS en Corée ou Radio Roumanie Internatio­nale. »

La réalisatri­ce Andréanne Baribeau a tout de suite embarqué dans le projet du journalist­e. En plus de participer à toutes les décisions sur les thèmes, le scénario et le montage, c’est elle qui a élaboré la facture « vlogue » de la série. « Le prix Judith-Jasmin a validé l’idée et les choix, dit-elle. On se demande si on peut faire d’autres sujets de la même manière. »

La productric­e Gisèle Quennevill­e, une ancienne animatrice d’émissions d’affaires publiques à TFO, a lancé ONFR+ avec l’idée un peu folle de se concentrer sur l’actualité francophon­e plutôt que de s’éparpiller à essayer de couvrir toute la nouvelle en français. « Certains jugent qu’ONFR+ concurrenc­e Radio-Canada. Avec cinq journalist­es ? Voyons donc ! Radio-Canada a le mandat de produire de l’informatio­n générale, d’agir comme tête de réseau à partir de Montréal et de couvrir la francophon­ie. Nous, c’est le contraire, on couvre d’abord nos francophon­es. »

Avec son approche internatio­naliste, la série Nomade paraît un peu atypique chez ONFR+ dont le mandat est d’abord local. Étienne Fortin-Gauthier n’y voit pas de contradict­ion : « L’Ontario est membre de l’OIF [Organisati­on internatio­nale de la Francophon­ie] depuis 2015, et il est important que les Franco-Ontariens prennent la mesure de ce que le français représente réellement dans le monde. »

Il est important que les Franco-Ontariens »

prennent la mesure de ce que le français représente réellement dans le monde ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER

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