Vieillir et la quête de sens
La lutte contre la COVID-19 nous plonge dans une crise qui bouleverse nos certitudes. Cette crise va-t-elle modifier notre façon de vivre et notre rapport aux autres ? Le Devoir a demandé à différentes personnalités de réfléchir aux conséquences de la pandémie dans nos vies. Cette réflexion vous sera présentée en page Idées pendant quelques semaines. Aujourd’hui : Fernand Dansereau et l’art de vieillir.
Àl’occasion du scandale des CHSLD et des résidences pour personnes âgées, un débat lève à propos du vieillir dans nos sociétés. Mais à voir la façon dont il s’amorce, je crains qu’il se déploie sans la participation des vieux, justement. Alors que plus de 80 % de ces derniers vivent chez eux de manière autonome, contribuent de mille manières au devenir de ces sociétés et restent des interlocuteurs parfaitement valables.
Pire encore : le débat semble déjà nous précipiter vers des conflits politiques qui ne feront qu’attiser le ressentiment et l’âgisme envers ces vieux en donnant l’impression d’imposer des charges supplémentaires aux générations plus jeunes. L’image des baby-boomers profiteurs, égocentriques et capricieux n’a pourtant pas besoin d’un vernis supplémentaire.
Là-dessus, nous, les personnes âgées, avons le devoir d’élever la voix et de prendre la parole. Il y aura beaucoup à dire sur l’âgisme justement, sur la pauvreté des personnes âgées, sur l’inadéquation des institutions conçues autrefois pour d’autres sortes de vieux. Et comment cette pauvreté, ces insuffisances institutionnelles rejoignent toutes les autres pauvretés et toutes les autres déficiences sociales. Mais je voudrais pour ma part insister ici avant tout sur le devoir qui nous incombe, à nous les vieux, de bien vieillir et de prendre toute la place qu’exige notre condition.
Et cela commence par rejeter — pour nous-mêmes — ce lieu commun qui présente toute vieillesse comme un naufrage, alors que c’est en réalité une convocation à un surplus d’être. Bien vieillir exige un consentement à sa finitude puisque les pertes, les deuils, les souffrances et la mort sont inévitables. Et ce consentement ne va pas sans un profond travail philosophique et spirituel. Mais, paradoxalement, ce consentement s’avère une joie et un enrichissement au bout du compte !
J’entends tout de suite des voix qui s’effraient et qui protestent pour dire que la philosophie appartient à quelques intellectuels privilégiés et la spiritualité aux croyants inébranlables. Il n’en est pourtant rien. La quête de sens et de sagesse est un réflexe naturel chez tout être humain vieillissant. Et les véritables réponses se trouvent au niveau du vécu, de l’expérimentation et de la plus modeste des réflexions.
Au Québec, dans les années 1960, nous avons — à bon droit — rejeté radicalement le cléricalisme et, avec lui, le religieux et le spirituel. C’était un acte de vie nécessaire. Mais payé cher, car le mot même de spiritualité devenait suspect, et ce mouvement nous précipitait dans les bras de la société de consommation. Et de ses excès.
Aujourd’hui l’âge et ses exigences de vérité nous rattrapent. Nous avons appris dans le concret de nos vies que la consommation ne peut rien contre le deuil, la maladie et la mort. Et nous cherchons ailleurs des bribes de réconfort : dans le yoga, le taï-chi, le qi gong, la méditation pleine conscience, etc. Quand ce n’est pas dans telle ou telle secte nouvel âge. Le religieux rapplique avec toutes ses menaces de dérives autoritaires. Et la peur de son emprise nous reprend !
Il est urgent de comprendre que spiritualité ne signifie pas religieux. Chercher du sens à sa vie, faire un peu de place à la contemplation dans son quotidien, vouloir apprendre à mieux aimer ses proches, laisser tomber un peu d’âpreté dans le désir, essayer d’appréhender et d’accepter le mystère de la vie elle-même, c’est cela la spiritualité. Bien en avant et au-delà du religieux qui, bien souvent, ne fait que la détourner vers des dérives déshumanisantes.
La spiritualité, c’est la quête naturelle de la personne humaine pour trouver du sens à sa vie, à la vie. Elle réside davantage dans la quête, justement, que dans les réponses que différentes générations peuvent y apporter.
Nous avons donc, nous les vieux, le devoir de réhabiliter d’abord dans notre propre esprit et dans le discours social ce terme de spiritualité et la validité de cette quête de sens.
Et nous avons le devoir de nous y référer quand nous prendrons la parole pour discuter des réformes sociales à apporter dans le but de faire une meilleure place à la vieillesse dans nos sociétés. Comme de reconnaître l’importance de cultiver l’amour de l’autre en tant qu’élément essentiel dans les systèmes d’entraide entre les générations. Comme de favoriser l’interpersonnel dans les critères à considérer quand nous voudrons refaire l’architecture des résidences de personnes âgées. Et non pas seulement la recherche du confort matériel. Comme de créer des forums où l’intergénérationnel sera requis au même titre que l’égalité des sexes… Comme… Comme… Comme finalement promouvoir en tout et partout qu’un citoyen soit reconnu en tant que citoyen avant toute considération de sexe, d’âge et bien sûr… de religion.
Vieillir, tel que je l’expérimente au quotidien et au plus concret, s’avère plein de souffrances, de deuils, d’angoisses et de renoncements. Mais c’est aussi l’une des périodes les plus lumineuses de ma vie. Jamais je n’aurai compris tant de choses. Jamais mon coeur ne se sera mieux ouvert à l’autre. Jamais la simple contemplation de la nature au lever du jour ne m’aura tant ébloui. Jamais le mystère de la vie ne m’aura tant intrigué.
Et ces expériences inévitablement feront de moi un meilleur interlocuteur dans les débats sociaux où je pourrais m’engager.
Les baby-boomers arrivent à la vieillesse, une vieillesse sans modèle, car aucune des générations précédentes n’a connu une telle longévité. Ils ont le devoir d’inventer une vieillesse belle, généreuse, aimante. C’est une grande responsabilité, car en raison de leur poids démographique, ces générations influeront sur la culture générale de nos sociétés.
Il est urgent de comprendre que spiritualité ne signifie pas religieux. Chercher du sens à sa vie, faire un peu de place à la contemplation dans son quotidien, [...] essayer d’appréhender et d’accepter le mystère de la vie elle-même, c’est cela la spiritualité. Bien en avant et au-delà du religieux.