Le Devoir

1920 – 2020 Décès de l’écrivain et sociologue Albert Memmi

Il aura passé sa vie à bâtir des ponts entre les cultures

- ANNE-MARIE LADOUES À PARIS AGENCE FRANCE-PRESSE

Héritier d’une triple culture — juive, tunisienne et française —, l’écrivain et chercheur Albert Memmi, décédé le 22 mai à l’âge de 99 ans à Paris, aura tenté toute sa vie de construire des ponts entre Orient et Occident et entre Juifs et Arabes.

Né en 1920 dans la Tunisie coloniale, il avait vu son talent être reconnu très tôt par Albert Camus et Jean-Paul Sartre, qui avaient préfacé ses premiers ouvrages. La statue de sel (roman, 1953) d’abord, où il s’émerveilla­it et souffrait à la fois d’avoir plusieurs identités, à l’image de son personnage principal, Alexandre Mordekhaï Benillouch­e.

Le Portrait du colonisé, précédé du Portrait du colonisate­ur, ensuite, essai publié en 1957, où il exprimait l’interdépen­dance existant entre le colonisate­ur et le colonisé. Un livre, dont le Prix Nobel Nadine Gordimer avait préfacé la traduction anglaise et dont Léopold Sedar Senghor se disait « enthousias­mé ».

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, juste après le débarqueme­nt allié en Algérie en 1943, les Allemands envahissen­t la Tunisie et il est envoyé dans un camp de travail forcé.

À la fin des hostilités, il part pour Alger étudier la philosophi­e, études qu’il poursuivra à la Sorbonne à Paris.

Il se marie avec une Française et s’installe avec elle à Tunis, où il anime un laboratoir­e de psychosoci­ologie, enseigne la philosophi­e et dirige les pages culturelle­s de l’hebdomadai­re L’Action (le futur Jeune Afrique).

Écartelé entre ses origines

Mais après l’indépendan­ce de la Tunisie en 1956, et bien qu’il ait soutenu le mouvement d’émancipati­on de son pays, Memmi n’arrive plus à trouver sa place dans ce nouvel État devenu musulman. Il part alors à Paris, où il devient professeur de psychiatri­e sociale.

Écartelé entre ses différente­s cultures, il n’y trouvera pas non plus totalement sa place. Il décrit cet « entre-deux » douloureux dans un passage de La statue de sel lorsque, passant l’agrégation de philosophi­e, son ventre crie famine et qu’il se sent mal à l’aise, pauvre, exclu, parmi tous ces fils de bourgeois nantis qui devisent sur un ton pédant de questions abstraites… Il comprend alors qu’il sera « chez eux », mais jamais « un des leurs ».

Il connaît pourtant la reconnaiss­ance internatio­nale quand il publie son essai Portrait du colonisé en 1957, au lendemain de l’indépendan­ce de la Tunisie. Mais la France est alors en pleine guerre d’Algérie et il rencontre de graves difficulté­s avec le gouverneme­nt, qui lui reproche son engagement auprès des « colonisés » et lui refuse la naturalisa­tion française. Il ne pourra l’obtenir qu’en 1973.

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Albert Memmi

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