Le Devoir

Plaidoyer pour qu’on n’oublie pas les musiciens pigistes

Les artistes indépendan­ts craignent de ne pas voir l’aide promise se rendre jusqu’à eux

- PHILIPPE PAPINEAU

Les artistes indépendan­ts qui jouent pour d’autres musiciens ou qui font leur métier en tant que pigistes sont légion dans le monde musical. Après deux mois de pandémie, plus de 120 des plus connus et des plus occupés d’entre eux en appellent dans une lettre ouverte à la mise en place de programmes d’aide qui ne s’arrêtent pas à des organismes intermédia­ires, mais qui se rendront bien jusqu’à eux.

« Que ce soit avec les aides spéciales ou les nouveaux programmes, il n’y a rien qui nous indique [que l’argent] va descendre jusqu’en bas de la pyramide, c’est-à-dire nous », explique au Devoir le vétéran musicien François

Plante, qui joue avec Yann Perreau, Ariane Moffatt et Sam Tucker.

Avec lui en vidéoconfé­rence, le trompettis­te Jérôme Dupuis-Cloutier, qu’on a vu sur scène avec Les Cowboys fringants, Émile Bilodeau et David Marin, n’est pas rassuré non plus de la suite des choses pour les nombreux musiciens de son statut profession­nel. Il espère notamment que les souhaits émis par la ministre Nathalie Roy de « réinventer la culture » ne finiront pas par un statu quo du modèle déjà en place et qui aide principale­ment ceux qui participen­t à un système bien établi autour des étiquettes de disques ou des producteur­s, par exemple.

« En ces temps exceptionn­els, c’est toute la chaîne de l’industrie de la musique qui est à revoir », peut-on lire dans la lettre signée notamment par Mélissa Lavergne, Philippe Brault (Pierre Lapointe), Liu-Kong Ha (Marie-Mai), Alex McMahon (Yann Perreau), Amélie Mandeville (Pierre Lapointe), AudreyMich­èle Simard (Galaxie), Gabriel Gratton (Les Soeurs Boulay), Dimitri Lebel-Alexandre (2 Frères) et une trentaine d’autres qui jouent notamment pour Robert Charlebois, Louis-Jean Cormier, Coeur de pirate, Marc Dupré et Daniel Bélanger. « De plus en plus d’artistes s’autoprodui­sent et la répartitio­n des subvention­s devrait refléter cette nouvelle réalité », peut-on y lire.

« Les prochaines années vont être difficiles, alors il faudrait peut-être pousser un modèle d’artiste indépendan­t, d’artiste entreprene­ur, peu importe le terme, note Jérôme Dupuis-Cloutier. Dans l’industrie actuelle, les “gros joueurs”, on les aime, et l’idée ce n’est pas de les tasser, mais c’est de donner un peu d’espoir aux artistes, parce que plusieurs vont prendre le bord sinon. »

Une époque laboratoir­e

Au coeur de la réflexion de ces créateurs indépendan­ts, il y a entre autres la place que prend la SODEC, note François Plante. Elle est un maillon majeur de la chaîne de financemen­t, mais qui « par définition est une aide aux entreprise­s culturelle­s », souligne Plante, et donc qui ne s’applique que rarement aux pigistes. « L’idée, ce n’est pas de les tasser, mais c’est une affaire de proportion. Il y a beaucoup plus de gens qui s’autoprodui­sent maintenant, et on a l’impression que le milieu, les subvention­neurs et l’industrie devraient refléter cette situation-là. On pourrait en partie enlever des intermédia­ires et s’assurer que l’argent aboutit vraiment dans les poches des artistes. »

Des aides plus directes existent par le truchement du Conseil des arts et des lettres du Québec, ou par les organismes Musicactio­n et Factor, mais, aux yeux des signataire­s, les critères pour se qualifier restent très restrictif­s et les sommes sont souvent versés aux producteur­s. « Le système permet difficilem­ent l’aide financière aux projets indépendan­ts, et encourage plutôt un modèle d’intermédia­ires qui prive les artistes d’un financemen­t direct », ajoutent-ils.

Dans ce grand brouhaha, il serait intéressan­t d’« essayer quelque chose d’autre », estime François Plante, qui parle d’une époque « laboratoir­e ». D’ailleurs, les observatio­ns de ces artistes « se veulent constructi­ves et elles ont pour but d’ouvrir un vrai dialogue » dans le milieu musical, « appelé à revoir son modèle de fonctionne­ment, indépendam­ment de la situation actuelle ».

François Plante et Jérôme DupuisClou­tier s’inquiètent d’ailleurs d’une éventuelle reprise des spectacles à petits budgets, avec par exemple des spectacles acoustique­s, en formule réduite, afin de réduire les coûts. Les signataire­s de la lettre craignent par ailleurs que les prochains mois soient difficiles financière­ment, les concerts estivaux étant la principale source de revenus pour les musiciens.

« Il faut trouver un moyen de garantir un montant en dédommagem­ent aux musiciens pigistes jusqu’à la reprise complète des spectacles devant public. Cela pourrait prendre la forme d’une enveloppe gérée par une institutio­n comme la Guilde des musiciens et musicienne­s du Québec, ou encore via une forme de prolongeme­nt de la PCU. »

La Guilde des musiciens estime qu’entre la fermeture des salles et la fin du mois de juillet, ses quelque 3200 membres auront été privés d’au moins quatre millions en cachets.

Il faudrait peut-être pousser un modèle d’artiste indépendan­t, d’artiste »

entreprene­ur JÉRÔME DUPUIS-CLOUTIER

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MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Le trompettis­te Jérome Dupuis-Cloutier n’est pas rassuré quant à la suite des choses pour les nombreux musiciens de son statut profession­nel.

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