Le Brésil en plein cauchemar
Dans l’exercice de leur présidence, Donald Trump et Jair Bolsonaro sont interchangeables. Même déni confus de la réalité face à la pandémie de coronavirus. Mêmes prédispositions pour l’extrême droite — assumées sans détour par le second. Même climato-négationnisme. Mêmes relais auprès des ultraconservateurs évangéliques. Même plan de carrière fondé sur leur seule survie politique, au mépris criminel de la population. Il n’est donc pas sans ironie que Washington ait décidé d’interdire dimanche — et ce, malgré le fait que la décision ne concerne pas grand monde — l’entrée aux États-Unis des voyageurs en provenance de ce Brésil dont le président est l’un des alliés les plus empressés de M. Trump.
L’Organisation mondiale de la santé a indiqué vendredi que la contagion se répandait à grande vitesse en Amérique du Sud, avec le géant brésilien à son épicentre, devenu le deuxième pays parmi les plus atteints, après les États-Unis, avec plus de 350 000 cas enregistrés, en date d’hier.
La jeune démocratie brésilienne est dans un état de déroute qui n’a fait que se creuser ces dernières années. L’absence de stratégie raisonnable et concertée d’endiguement de la pandémie vient aujourd’hui l’aggraver.
Le pays aura vécu sous l’ex-président Lula (2003-2011) une période de progrès social, malgré l’évidence d’une dynamique de corruption qui éclabousse depuis toujours l’ensemble du monde politico-économique. Avec la destitution de la présidente Dilma Rousseff en 2016, la droite a pris sa revanche sur le Parti des travailleurs (PT). Fin 2018, la déliquescence démocratique du Brésil a atteint un sommet de monstruosité avec l’élection de Jair Bolsonaro, adorateur de la dictature militaire (1964-1985), populiste borné jusqu’à la moelle, capable comme Trump ou le Philippin Rodrigo Duterte d’invitations à toutes les violences.
« Je me sens très optimiste quant à l’avenir du pessimisme », a dit Jean Rostand. Autrefois champion des pays dits émergents, le Brésil régresse en ce moment, avec supputations de plus en plus audibles de coup d’État, d’une forme ou d’une autre, dans un contexte où les militaires, qui détiennent déjà plus du tiers des portefeuilles ministériels à Brasília, sont devenus le principal soutien de Bolsonaro.
Comme Trump, Bolsonaro est arrivé au pouvoir sur fond de creusement des inégalités, de clivages partisans et de dépit populaire face à la dérive générale des institutions et du système politique. Destinée avant tout à salir le PT, l’enquête anticorruption « Lava Jato » de l’ex-juge Sergio Moro aura fini par jeter le discrédit sur l’ensemble des partis. Ce qui fait qu’en 2018, l’« outsider » Bolsonaro aura été élu grâce surtout au soutien de l’électorat blanc et mieux nanti du sud (Rio, São Paulo…) et de l’ouest du pays. Et des élites qui, mues par une profonde détestation du PT, ont fait l’impasse sur la nature dangereuse du personnage en se disant qu’on saurait l’encadrer…
L’homme dispose toujours d’une base de 25 % d’électeurs devant lesquels il ne se gêne pas pour politiser la crise sanitaire. Au Brésil se multiplient aussi les manifestations, attisées par la droite dure, contre les mesures de confinement imposées à l’échelle des États fédérés par une majorité des 27 gouverneurs du pays. Non sans raison, du reste, puisque, en l’absence de soutiens de l’État, imposer le confinement pur et dur à des gens sans recours économiques est à peu près aussi irresponsable que de nier l’ampleur de la pandémie.
Dans ce climat de grand dérapage, l’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva, libéré de prison en novembre 2019 mais toujours sous le coup de procès pour corruption, a accusé le président d’« irresponsabilité génocidaire » et a déposé contre lui une demande de destitution. Il n’est pas le seul. Une trentaine de requêtes ont été faites, y compris de la part d’organisations de droite. Reste à voir si des procédures seront lancées.
En parallèle, le chaos a pris de l’ampleur depuis la mi-avril avec la démission de trois ministres : celles à un mois d’intervalle de deux ministres de la Santé, puis celle du populaire Sergio Moro, qui aura brièvement accepté d’être ministre de la Justice sous Bolsonaro, ce qui en dit long sur sa conscience politique, avant d’accuser le président d’intervention indue dans des enquêtes de la police fédérale.
M. Moro est un héros de la droite que tout le monde voit maintenant briguer la présidence en 2022. Il fut aussi un juge ambitieux qui, pour avoir manifestement politisé ses enquêtes anticorruption aux fins de nuire spécifiquement à Lula et au PT, se trouve à avoir joué un rôle non négligeable dans la fragilisation de l’État de droit et le cauchemar dans lequel sont coincés les Brésiliens. Le cauchemar étant que les hommes au pouvoir, ignorant tout le reste, se déchirent en guerres de palais et en menaces de destitution.