Le Devoir

Le service à l’auto redevient populaire, pandémie oblige

- ANNABELLE CAILLOU LE DEVOIR

Le service au volant connaît un regain de popularité en temps de pandémie. Des commerces, des restaurant­s et même le milieu culturel y voient un moyen, à court terme, de continuer leurs activités et d’offrir une sortie aux Québécois en respectant la distanciat­ion physique.

« Beaucoup de clients prenaient leur repas à emporter et finalement mangeaient dans leur voiture. On s’est dit pourquoi pas les servir dans leur auto, comme avant. Ça leur donnera une occasion de sortir au restaurant et ça nous aidera financière­ment », raconte Éric Sansfaçon, propriétai­re du restaurant Buffet Royal, à Beauport.

Fondée en 1956 par son grandpère, cette institutio­n n’aurait pu survivre que de livraisons.

M. Sansfaçon a donc fait un bond dans le temps et ressorti du sous-sol les cabarets utilisés jusque dans les années 1980 pour le service au volant. Le principe est simple : en arrivant dans le stationnem­ent, le client passe sa commande en ligne ou par téléphone tout en indiquant le modèle et la couleur de sa voiture.

« Une serveuse lui apporte son repas sur un cabaret qu’elle accroche à la portière. Deux petits coups de klaxon quand c’est terminé et on le débarrasse. »

En une semaine, son service à l’auto a connu un grand succès, assure-t-il. « Le monde adore ça, ça leur rappelle leur enfance pour certains et les plus jeunes souhaitent connaître cette expérience. »

À plus de 250 km, la Laiterie de Coaticook a également décidé de remettre le service à l’auto au goût du jour. Depuis trois semaines, la caravane réfrigérée, réservée habituelle­ment aux événements, a été installée dans la cour de la laiterie pour y aménager un service au volant.

« À l’intérieur du bar laitier, on n’aurait pas été capable de gérer l’achalandag­e et de faire respecter la distanciat­ion », confie le propriétai­re, Jean Provencher.

Avec ce nouveau système, les amateurs de crèmes glacées restent dans le confort de leur véhicule et des employés se promènent dans la ligne pour prendre les commandes et les servir.

Critiquée par quelques piétons mécontents de ne pouvoir en profiter, la formule fait ses preuves, d’après M. Provencher qui précise qu’entre 900 et 1000 véhicules se sont présentés ces deux derniers dimanches.

Et le milieu de la restaurati­on n’est pas le seul à avoir adopté le service au volant depuis le début de la pandémie. Bibliothèq­ues, épiceries, pharmacies, salons funéraires et même la Santé publique — qui a lancé des services de dépistage de la COVID-19 à l’auto — y ont vu un moyen sécuritair­e de continuer leurs activités et services.

Le parcours Illumi : Féérie de Lumières de Cavalia a aussi annoncé mardi son retour cet automne à Laval, mais dans un format adapté à la pandémie : confiné dans son automobile. « Illumi en voiture sera le prétexte idéal pour sortir de la maison, s’amuser et s’émerveille­r à nouveau avec ceux qu’on aime », a déclaré Normand Latourelle, créateur de Cavalia et Illumi, par voie de communiqué.

Ce réflexe d’utiliser la voiture pour presque tout en temps de crise n’étonne pas Nathalie Casemajor, professeur­e à l’Institut national de la recherche scientifiq­ue. « L’automobile, c’est le symbole du confort, de la sécurité et de la protection contre le monde extérieur, dans nos sociétés occidental­es, explique-t-elle. En temps de pandémie, c’est comme une bulle protectric­e ».

Sorties culturelle­s

Elle s’attend même à voir le milieu culturel et celui du divertisse­ment emboîter le pas cet été si le déconfinem­ent tardait à venir pour ces secteurs. Certains pourront même s’inspirer des ciné-parcs qui ont l’habitude d’accueillir une clientèle en auto. Le gouverneme­nt Legault a d’ailleurs donné son aval à leur réouvertur­e, prévue vendredi prochain.

À Saint-Eustache par exemple, les cinéphiles devront attendre le premier week-end de juin. « On a été pris au dépourvu lors de l’annonce vendredi dernier. On préfère prendre notre temps et faire ça bien en règle », explique Brigitte Mathers, la présidente du Groupe Mathers à qui appartient le ciné-parc.

En plus de devoir trouver de vieux films qui satisferon­t les spectateur­s — puisqu’aucune nouvelle production n’est prévue tant que les cinémas seront fermés —, elle doit adapter les lieux aux mesures de santé publique.

« Pour chaque écran, on va accueillir seulement la moitié des voitures dans les stationnem­ents. Si les gens sortent du véhicule et s’installent à côté avec leur chaise, on veut être sûr qu’ils puissent toujours respecter deux mètres », précise-t-elle.

Nourriture­s et boissons ne seront par contre plus livrées aux voitures. Les clients devront prendre à emporter au restaurant. Lavage de mains obligatoir­es, paiement par carte et limitation du nombre de personnes sont aussi à prévoir.

Mais Mme Mathers reste confiante et s’attend à recevoir beaucoup de monde dans les prochaines semaines. « Les gens sont confinés depuis deux mois et on va être les premiers dans le milieu culturel à pouvoir les accueillir, note-t-elle. C’est sûr que les gens vont vouloir en profiter, sauter sur l’occasion pour sortir et avoir un peu de distractio­n. Ce n’est pas comme si le choix d’activités à l’extérieur était très grand. »

Installati­ons temporaire­s

Aux yeux de l’urbaniste Gérard Beaudet, les ciné-parcs vont peutêtre vivre leurs plus beaux jours cet été. Ces installati­ons sont un moyen idéal en temps de crise sanitaire pour rassembler des gens autour d’une activité culturelle, tout en leur permettant de se tenir à distance les uns des autres. On pourrait même en installer de façon temporaire dans les immenses stationnem­ents des centres commerciau­x qui se vident une fois la nuit tombée, donne-t-il en exemple.

« On pourrait aussi imaginer des spectacles de musique ou de théâtre retransmis sur grand écran et qu’on peut écouter grâce à sa radio », avance-t-il. Une idée qui n’a pas échappé au duo 2Frères. Ils ont annoncé en avril qu’ils feront une tournée des ciné-parcs durant l’été. Une scène mobile sera installée et le public pourra assister au spectacle de sa voiture.

D’autres artistes pourraient parfaiteme­nt emboîter le pas.

Sans faire la promotion du service au volant, qui encourage l’autosolo et n’est donc pas sans inconvénie­nt, M. Beaudet insiste sur la « période exceptionn­elle » que nous vivons.

« On parle de transforma­tions temporaire­s, pour distraire les Québécois, leur changer les idées pendant la crise qui pourrait durer encore longtemps. L’idée n’est pas de créer de toutes pièces de nouveaux services au volant à travers la province. Il ne faudrait pas que ça se pérennise ».

De son côté, le professeur Pierre Olivier Pineau de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, ne s’inquiète pas outre mesure. « Le service à l’auto ne devrait pas devenir une nouvelle norme durable […]. C’est comme pour le transport en commun : on l’évite tant qu’on n’a pas de vaccin, mais à long terme on y reviendra. Et si on devait prendre goût aux livraisons, celles-ci pourront de manière croissante être faites par des véhicules électrique­s », dit-il confiant.

L’automobile, c’est le symbole du confort, de la sécurité et de la protection contre le monde extérieur, dans nos sociétés occidental­es. En temps de pandémie, c’est comme une bulle protectric­e. NATHALIE CASEMAJOR Le service au volant devient, comme à une certaine époque, la façon tendance de retrouver sa clientèle

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CORONAVIRU­S À l’instar de la France, le Québec se tourne vers les ciné-parcs en attendant la réouvertur­e des salles de cinéma. LOIC VENANCE AGENCE FRANCE-PRESSE

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