Difficile de rafraîchir des bâtiments désuets
Les CHSLD les plus mal en point se retrouvent surtout à Montréal, en Montérégie et dans Lanaudière
Les solutions temporaires de rafraîchissement que propose le gouvernement seraient difficiles, voire impossibles, à appliquer à court terme dans les CHSLD les plus vétustes ou mal conçus, estiment certains experts. Or, la plupart d’entre eux sont situés surtout dans les régions où il y a une forte concentration de cas de COVID, a constaté Le Devoir.
Une compilation des données faite à partir d’un bilan gouvernemental sur l’état des infrastructures de santé en 2018 a permis de constater que les CHSLD les plus vétustes sont surtout dans les régions où il y a une forte concentration de cas de COVID. Sans surprise, Montréal est la région où il y a le plus de CHSLD vétustes, suivie de la Montérégie et de Lanaudière.
Parmi les 18 établissements ayant reçu la cote « E », soit le pire indice de vétusté, au moins 6 (y compris les hôpitaux Maisonneuve-Rosemont et Santa Cabrini) se trouvent à Montréal, presque tous sur le territoire du CIUSSS de l’Estde-l’Île. « Certaines de nos installations
sont désuètes et ont besoin d’une cure de jeunesse », a reconnu son porte-parole, Christian Merciari.
Flanqués de la cote « E », les CHSLD Éloria-Lepage, Jeanne LeBer et Nicolet sont tous trois d’importants foyers de COVID-19. Mais il a été impossible de savoir si l’installation de climatiseurs portatifs allait être encouragée ou si des entrepreneurs allaient être sollicités pour installer de plus gros systèmes de climatisation.
Un problème de vétusté
La ministre des Aînés, Marguerite Blais, a reconnu que certains CHSLD sont très vétustes — « Oui, on en a » — ce qui ajoute au problème. « Souvent, dans les CHSLD qui sont vétustes, l’électricité ne peut pas prendre une quantité phénoménale de climatiseurs. Donc, on va avoir des moyens qui sont beaucoup plus agiles. On va être créatifs », a-t-elle dit durant la période de questions.
Au-delà du fait de permettre aux résidents d’installer des climatiseurs mobiles, la ministre a demandé aux établissements de tout mettre en oeuvre pour les soulager de la chaleur. « Faites tout ce que vous pouvez faire pour proposer des zones de fraîcheur, de la climatisation, mettez à l’extérieur des génératrices, faites appel à des entrepreneurs pour qu’on puisse insuffler de l’air frais à l’intérieur. Tout sera mis en place, ce n’est même pas une question d’argent », a-t-elle ajouté.
Selon le président de la firme Martin Roy et Associés, hormis l’argent, d’autres facteurs entrent en ligne de compte. « J’étais bien surpris quand j’ai entendu l’annonce [du gouvernement] au sujet de la mise en place des systèmes temporaires. C’est faisable, mais ça me surprendrait qu’on soit capable de fournir à tous les CHSLD qui ont des problèmes cet été », a dit Martin Roy, ingénieur et spécialiste du développement durable.
« Il y a des solutions possibles, mais c’est sûr que ce sont des chantiers et que ça va déranger les gens. » Et c’est sans compter toutes les précautions à prendre, respecter les normes liées à la COVID-19 et le processus d’appels d’offres de plusieurs mois.
Les climatiseurs de fenêtre demeurent une solution facile à mettre en place rapidement, mais pas pour le long terme, estime M. Roy. « Il faudrait que ce soit temporaire. C’est très énergivore et bruyant, ce n’est pas efficace, ça brise souvent et c’est beaucoup de manutentions pour l’enlever et le remettre chaque année », dit-il.
Pour Michel Bernier, professeur au département de génie mécanique à l’École Polytechnique de Montréal, offrir une climatisation adéquate pour des résidents ne peut se faire qu’au « cas par cas ». Certains bâtiments plus vétustes ont effectivement des circuits électriques trop surchargés qui ne supporteraient pas plusieurs climatiseurs portatifs (110 volts). Et dans le cas où on voudrait amener la climatisation dans chacune des chambres par un système central, bien des bâtiments n’ont pas la structure adéquate — les plafonds sont trop bas ou il y a peu d’espace sur le toit, par exemple — ce qui empêche de passer les conduites volumineuses.
« Ce serait de toute façon assez difficile d’instaurer des systèmes centraux dans les prochains mois. Viser l’été prochain serait plus réaliste », ditil. Entre-temps, les CHSLD dont la configuration le permet pourraient se voir installer des systèmes « intermédiaires » comme les climatiseurs de maison qui refroidissent partiellement. « Si on a juste 2-3 pièces à climatiser dans les CHSLD, on pourrait installer ce système relativement facilement, mais ça prend des entrepreneurs expérimentés », souligne M. Bernier. Et plusieurs semaines pour obtenir les équipements.
Entrepreneurs sollicités
Des entrepreneurs ont déjà été sollicités pour effectuer des travaux permettant de climatiser des CHSLD, a-t-on précisé lors d’un point de presse de la direction régionale de santé publique de Montréal mardi. « Il y avait déjà des établissements qui avaient commencé à se préparer », a précisé Caroline Dusablon, coordonnatrice régionale des mesures d’urgence du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-deMontréal. Pour sa part, le CIUSSS du Nord-de-l’île-de-Montréal a prévu des travaux pour l’ensemble de ses sites en juin et en juillet « afin de tempérer/déshumidifier les corridors des CHSLD et des hôpitaux qui n’ont pas l’air conditionné dans ces lieux. »
Martin Roy se dit « prêt » à répondre à l’appel des CHSLD, peu importe leur conception. Mais vétusté ou pas, le vrai problème est que les gouvernements précédents n’ont pas exigé que ces résidences pour aînés soient construites dès le départ avec un système de la climatisation pour les chambres. « On est en réaction au lieu d’avoir agi en prévention », a-t-il dit, en ajoutant que cela fait pourtant longtemps qu’on sait qu’en raison des changements climatiques, les températures montent et que de plus en plus de canicules sont à venir. « D’ici 25-30 ans, on sait qu’on n’aura plus les mêmes étés. »