Le Devoir

Les différente­s facettes de la crise

La protectric­e du citoyen lance sa propre enquête sur les résidences pour aînés

- ISABELLE PORTER

Le manque de personnel ne suffit pas à expliquer la situation « inacceptab­le » observée ces dernières semaines dans les CHSLD, selon la protectric­e du citoyen, qui a décidé de lancer une enquête « systémique » sur la gestion de la crise.

« C’est plus large que la pénurie de personnel », avance Marie Rinfret en entrevue au Devoir. Même sans pénurie de main-d’oeuvre, il y avait des problèmes dans « l’organisati­on des services », le recours « à des agences de personnel » et un manque de contrôle dans la certificat­ion des résidences privées pour aînés.

Le Protecteur du citoyen a annoncé mardi la tenue d’une enquête indépendan­te sur la crise dans les résidences pour aînés. L’enquête vise à la fois à « faire la lumière » sur la réponse du gouverneme­nt à la crise et à soumettre des améliorati­ons. L’organisme veut notamment s’assurer que les établissem­ents sont prêts si une nouvelle épidémie survenait.

Nommée par l’Assemblée nationale, la protectric­e du citoyen jouit de pouvoirs d’enquête très étendus. Elle peut visiter des installati­ons sans préavis, appeler à témoigner les personnes de son choix et avoir accès à toute la documentat­ion qu’elle souhaite.

« J’ai tous les outils pour me permettre d’aller chercher les faits, dit-elle. Je vais viser l’ensemble du réseau, le gouverneme­nt le cas échéant, et je vais interpelle­r les parlementa­ires le cas échéant. »

Il est prévu que l’exercice dure plus d’un an et que le rapport soit déposé à l’automne 2021. Ne craint-elle pas qu’il soit alors trop tard et que le gouverneme­nt ait déjà réformé le réseau ? « C’est pour ça que j’ai annoncé un rapport d’étape cet automne », répond du tac au tac la protectric­e du citoyen, qui souhaite néanmoins que le gouverneme­nt ne tarde pas à se « mettre en mouvement » parce que « la situation actuelle est inacceptab­le ».

Le bureau de la protectric­e n’en est pas à sa première enquête sur le sujet. Selon Mme Rinfret, qui a été nommée en 2017, certains rapports du passé auraient dû être davantage pris au sérieux. « Si on avait été écoutés […], je pense que les milieux d’hébergemen­t auraient été solidifiés de manière graduelle au fil des années. Et qu’on ne se retrouvera­it pas dans la crise où on est. »

Le bureau du Protecteur du citoyen avait notamment enquêté sur la résidence l’Eden, à Laval, où 46 personnes sont décédées de la COVID-19. « À ce jour, des lacunes persistent, notamment quant à l’applicatio­n de consignes et à la communicat­ion avec les familles, écrivait-il dans un rapport publié en juillet dernier. Toutefois, globalemen­t, la situation s’est grandement améliorée depuis que le CISSS a intensifié ses activités de suivi et de surveillan­ce. »

Par ailleurs, en libérant des lits d’hôpital pour envoyer des patients vers les CHSLD, le Québec a confirmé un constat déjà fait par son organisme, poursuit Mme Rinfret : l’orientatio­n très « hospitaloc­entriste » du réseau.

« Les fonds, les budgets sont dirigés vers les centres hospitalie­rs. […] Le gouverneme­nt a libéré les lits dans les hôpitaux et ils ont dirigé les personnes âgées dans une ressource intermédia­ire ou dans un CHSLD, constate-t-elle. Mais, au moment où on a fait ce transfert-là, est-ce qu’on s’est demandé si ces ressources étaient capables de les accueillir, compte tenu du cas, du personnel en place, des risques associés à la contagion ? »

D’autres enjeux ont souvent été pointés du doigt dans le passé, poursuit Mme Rinfret, qui mentionne le sous-financemen­t, le manque de lits dans les CHSLD et l’organisati­on des services.

« La pénurie de personnel, ça faisait déjà un moment qu’on le constatait parce que les soins d’hygiène étaient reportés, observe l’avocate de formation. Lors des vacances estivales, on constatait que des personnes âgées n’étaient pas levées de leur lit. La vétusté aussi des milieux… Le “H” dans CHSLD, c’est pour “hébergemen­t”. Ce sont des centres d’hébergemen­t où on a des personnes qui sont de plus en plus vulnérable­s et il y a encore des chambres partagées par jusqu’à quatre personnes. Est-ce que ça en fait un milieu de vie ? Et est-ce que c’est correct pour prévenir la propagatio­n des infections ? »

Même lorsque la COVID-19 sera dernière nous, il y aura des éclosions de grippe, de gastro-entérite, soulignet-elle au passage.

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JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE La protectric­e du citoyen, Marie Rinfret, a annoncé l’ouverture d’une enquête sur les ratés du système de santé durant la crise sanitaire.

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