Le Devoir

La distanciat­ion et le développem­ent des enfants

Les mesures prises contre la pandémie excluent l’immense majorité des gestes relationne­ls positifs entre les enfants

- Marc-André Paquette Enseignant au préscolair­e

Comme enseignant à la maternelle, je suis convaincu des effets négatifs de la distanciat­ion physique sur le développem­ent affectif et relationne­l des enfants.

En classe, j’utilise un référentie­l de 26 images de gestes positifs qui permettent de nourrir et de prendre soin des relations. Lorsqu’on en fait l’analyse, on constate que la distanciat­ion interdit ou nuit à l’enseigneme­nt, en classe, de la majorité de ces gestes qui sont nécessaire­s au développem­ent de compétence­s relationne­lles saines.

Nous pouvons séparer l’enseigneme­nt de ces gestes relationne­ls en quatre catégories par rapport à la distanciat­ion.

Gestes désormais interdits : faire un câlin ; partager le matériel (aucun partage n’est permis) ; inviter un ami à jouer (chacun a une place pour travailler et jouer seul) ; bien jouer ensemble, faire des compromis (idem) ; inclure un autre enfant à notre groupe d’amis, ne pas le laisser seul (idem) ; rendre service (interdicti­on de toucher au matériel de l’autre ou à son espace de jeu et de travail) ; aider un ami à ranger (idem) ; laisser une place libre à côté de soi (chacun a une place bien délimitée) ; faire un cadeau, comme un dessin (interdicti­on de toucher au même matériel).

Gestes à peu près exclus (difficile de placer les enfants dans une situation favorisant l’émergence et l’enseigneme­nt de ces compétence­s puisque aucun travail, aucun jeu d’équipe et aucun partage de matériel n’est permis) : dire merci (les enfants ne peuvent plus s’aider de façon concrète, seulement verbalemen­t et à une distance de 2 m) ; partager ses idées et accepter les idées d’un ami (en jouant et en travaillan­t seuls dans un espace qui leur est réservé, les enfants ont des interactio­ns beaucoup plus limitées et ne sont à peu près pas confrontés aux idées des autres) ; aider un ami (seulement verbalemen­t et à une distance de 2 m, ce qui est à peu près impossible pour les plus petits) : prendre soin d’un ami (idem) ; consoler un ami (idem) ; parler doucement lorsqu’on n’est pas d’accord (tout se faisant de façon individuel­le et dans un espace réservé et protégé, il y a donc peu d’interactio­ns où l’enfant est confronté et où il doit exprimer ses limites et ses besoins doucement même s’il est contrarié) ; faire une belle demande à un ami (il y a peu de situations où un enfant aurait à demander de l’aide à un ami ou sentirait le besoin de faire respecter ses limites) ; laisser passer quelqu’un devant soi (presque tous les déplacemen­ts sont orchestrés par l’adulte pour s’assurer que tous les enfants respectent la distance de 2 m et ne se croisent pas de trop près) ; donner la chance à un ami de faire quelque chose, lui laisser son tour (il n’y a pas d’interactio­n avec le même matériel).

Gestes pouvant encore être encouragés (même si le contexte est vraiment moins favorable à leur possibilit­é, étant donné le peu d’interactio­ns) : sourire à un ami ; faire un clin d’oeil ; regarder et écouter attentivem­ent un ami qui me parle ; féliciter (difficile pour un enfant de prendre conscience des réalisatio­ns d’un ami qui travaille à 2 mètres, voire plus, dans la classe — pour encourager ce comporteme­nt, l’enseignant doit relever publiqueme­nt les réussites de chacun et encourager ensuite les félicitati­ons) ; encourager (difficile pour un petit de prendre conscience des difficulté­s d’un ami qui travaille à 2 mètres ou plus loin dans la classe) ; s’intéresser à l’autre, lui poser des questions (difficile de s’intéresser à ce que fait un ami à une distance de 2 mètres ; il y a le risque que ce comporteme­nt disparaiss­e si l’adulte intervient chaque fois qu’un enfant qui s’intéresse à un autre s’en approche trop) ; dire des mots doux (se fait habituelle­ment de façon spontanée lorsqu’il y a des interactio­ns entre les enfants).

Gestes encore faciles à encourager : accueilir à l’arrivée ; saluer au départ.

Il m’apparaît très inquiétant de constater que la distanciat­ion sociale exclut l’immense majorité des gestes relationne­ls positifs entre enfants.

De plus, dans un contexte de distanciat­ion sociale (sans travail ou jeu d’équipe et sans partage de matériel), il est à peu près impossible, en classe, de stimuler le développem­ent de compétence­s telles qu’aller vers les autres, oser, s’affirmer, être attentifs aux besoins des autres, faire des compromis, gérer des frustratio­ns, mettre des limites et résoudre des conflits.

Je sonne donc l’alarme comme enseignant.

Si la distanciat­ion sociale se prolonge en septembre, nous courrons le risque qu’il y ait des répercussi­ons importante­s, à moyen et à long terme, sur le développem­ent affectif et relationne­l des jeunes d’aujourd’hui et sur leurs interactio­ns futures, quand ils seront adultes.

Newspapers in French

Newspapers from Canada