Le Devoir

Appel à plus de dialogue sur la reprise des arts vivants

Des milliers de voix soutiennen­t l’appel au dialogue des arts vivants au gouverneme­nt

- NATALIA WYSOCKA

« Ce n’est pas parce que nous sommes dans l’inconnu que nous devons être plongés dans le vide. » Dans une lettre ouverte envoyée mardi à la ministre de la Culture et des Communicat­ions, Nathalie Roy, les artistes de la scène demandent un dialogue, une visibilité. Pas la lune, disent-ils. Juste l’écoute.

La missive, doublée d’une pétition déjà signée de milliers de noms, est portée par le dramaturge et directeur artistique du Théâtre de Quat’Sous, Olivier Kemeid. En concertati­on avec, notamment, Brigitte Haentjens, Claude Poissant et Ginette Noiseux.

« C’est important de le dire. La grogne, elle est née récemment. Pas au début, insiste Olivier Kemeid au bout du fil. Il aurait été indécent, au jour trois, de faire une sortie. »

Mais au jour soixante-quatorze, la sortie s’imposait. « Après avoir fait front commun, il importe de réarrimer la vie démocratiq­ue. De questionne­r. De critiquer. De remettre en question. J’ai remarqué que les complotist­es font florès quand on n’entend qu’une seule voix. Quand le discours se fait uniforme. »

Le déclencheu­r de la missive : le point de presse des autorités du 22 mai. Celui annonçant la première phase du déconfinem­ent dans le milieu culturel. Qui a donné le go aux musées. Aux bibliothèq­ues. Aux cinéparcs. C’est tout.

Plusieurs fois, Olivier Kemeid le redit : « Nous réitéreron­s notre confiance envers la santé publique. Jamais, nous ne nous mettrons au-devant des mesures sanitaires. Notre lettre, ce n’est pas “NOUS EXIGEONS QUE LES THÉÂTRES SOIENT OUVERTS DEMAIN, BON”. Nous voulons simplement avoir voix au chapitre. »

Sans oublier l’importance d’aborder la question du numérique, omniprésen­te depuis le début du confinemen­t. Combien d’Instagram Live peut-on regarder avant de ressentir un certain engourdiss­ement ? D’avoir soif d’autre chose ? Car précisémen­t : les arts de la scène sont autre chose. Et sans public, ils ne sont, tout simplement, pas des arts de la scène. « Si je n’ai pas cette présence physique devant moi, je ne joue pas de la même manière. Je n’écris pas de la même manière. Je ne danse pas de la même manière. »

Tout est dans la manière, d’ailleurs, avance Olivier Keimed : « On s’entend : jouer devant public n’est pas un mince défi en temps de pandémie. Mais on a des idées. Et on aimerait les échanger avec le ministère. »

Parmi les idées soulevées, l’importance du temps. De réflexion, de répétition, de planificat­ion. « Nous sommes capables de nous adapter, nous sommes souples. Mais nous vivons un moment qui exige une profondeur, une pensée. »

Le temps devant soi, il n’est pas marqué de balises claires, déplore le metteur en scène. Si ce n’est que pour ceux qui ont demandé la PCU au début du confinemen­t, les paiements s’arrêteront en juillet. Quatre mois seront passés. « Je ne sais pas quel sera le pourcentag­e des artistes qui seront sur la paille à ce moment, mais ce sera une maudite gang. J’ai envie de dire à la ministre : si vous ouvrez, mais que tous les travailleu­rs culturels ont changé de carrière, désoeuvrés, parce qu’ils ne pouvaient plus manger, nous ne serons pas plus avancés. Rendu là, les dégâts seront tellement considérab­les, que peu me chaut une date. »

C’est pourquoi Olivier Kemeid souhaite un plan. Fût-il « évolutif et fluctuant ». Mais surtout des discussion­s. Des échanges. « Je ne demande pas un calendrier bétonné ou une boule de cristal à mon gouverneme­nt. Je demande seulement : si on ne peut pas ouvrir avant janvier 2021, que me proposez-vous pour l’automne ? À part mettre deux Kodaks sur une scène et aller au ciné-parc ? (Entendons-nous, j’y vais au ciné-parc. J’ai deux enfants, j’adore ça. La question n’est pas là.) »

Questionné­e à ce sujet, Geneviève Gouin, attachée politique de Nathalie Roy, a souhaité préciser : « Madame la Ministre a bien reçu la lettre et accusé réception. Elle est consciente que le milieu réclame un échéancier clair, mais ce n’est pas elle qui le fixe. Elle respecte les avis de la Santé publique et souhaite s’assurer qu’on ne se retrouve pas avec une résurgence du virus et un retour à la case départ. »

Nous sommes capables de nous adapter, nous sommes souples. Mais nous vivons un moment qui exige une »

profondeur, une pensée. OLIVIER KEMEID

Et pour ce qui est de la deuxième phase du déconfinem­ent dans le milieu culturel ? « Nous n’avons pas encore de date. »

Multiples scénarios

Anne Trudel a signé la lettre en tant qu’artiste. En tant que présidente du Conseil québécois du théâtre (CQT), toutefois, il y a un moment déjà qu’elle se bat pour obtenir des balises claires du gouverneme­nt. « Tous les secteurs ont été invités à déposer un plan de reprise le 15 mai », rappelle-t-elle. De multiples scénarios ont alors été proposés. En plusieurs phases. D’abord, la réouvertur­e des lieux. « Pour que les artistes et les travailleu­rs culturels puissent faire des laboratoir­es, explorer, se parler. Voir ce que la distanciat­ion sociale suscite chez eux. Dans la logique économique du gouverneme­nt, il faut voir cette phase de recherche un peu comme de la recherche fondamenta­le en science. »

Ce n’est qu’à la phase trois que le CQT parle d’accueillir le public. Et ce dernier, assure la présidente, est impatient de retrouver les arts vivants « en vrai ». « À la quantité de rencontres que l’on fait sur Zoom, on se rend compte que ça n’a rien à voir avec le contact humain. Rien à voir avec une oeuvre que l’on voit physiqueme­nt, directemen­t devant nous. » Rien à voir.

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ANNIK MH DE CARUFEL ARCHIVES LE DEVOIR La missive est portée par le dramaturge et directeur artistique du Théâtre de Quat’Sous, Olivier Kemeid.

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