Le Devoir

L’historique du virus au Québec sera bientôt connu

- ISABELLE PARÉ

Le laboratoir­e de santé publique du Québec (LSPQ) a amorcé cette semaine le séquençage génomique d’un premier lot parmi les milliers d’échantillo­ns récoltés auprès de patients positifs. Une analyse qui permettra d’en savoir beaucoup plus long sur les souches en circulatio­n au Québec et surtout, sur celles qui ont été introduite­s en premier sur le territoire.

Ce travail de titan, échelonné sur plusieurs mois, permettra d’analyser les variantes génomiques de la totalité des échantillo­ns naso-pharyngés récoltés à l’aide d’écouvillon­s auprès des patients positifs (plus de 49 000 à ce jour), depuis le début de l’épidémie au Québec. Cette méga-analyse permettra non seulement de déceler non seulement les mutations survenues, mais aussi de suivre à la trace les mutations du virus au cours des prochains mois.

« Le virus mute environ tous les dix jours. Nous pourrons donc retracer chacune des génération­s depuis les premiers cas, savoir quels patients ont contracté les mêmes souches et d’où sont venues les premières importées sur le sol québécois », a expliqué au Devoir jeudi la Dre Sandrine Moreira, coordonnat­rice du programme de surveillan­ce génomique au LBSP.

Cette semaine, le séquençage des échantillo­ns des patients no 97 à no 192 a été achevé pour tester la technologi­e de séquençage utilisée. On s’attaquera la semaine prochaine aux fameux échantillo­ns des patients no 1 à no 96, soit les tout premiers cas d’infection à la COVID-19 déclarés au Québec. Ces échantillo­ns recèlent notamment les traces du virus récoltées sur une Québécoise de retour d’Iran le 24 février, la première personne déclarée positive à la COVID-19 au Québec, ainsi que celui des tout premiers cas déclarés au début du mois de mars.

« Ces échantillo­ns sont les plus précieux, car ils nous révéleront d’où est venu le virus et quelles souches étaient en cause, en recoupant les informatio­ns que nous avons sur les dates et la

Le séquençage génomique permettra de déceler les premières souches introduite­s au Québec

position géographiq­ue des personnes infectées », explique la Dre Moreira.

La chercheuse s’attend à ce que les premières génération­s du virus SRASCoV-2 arrivées au Québec soient les mêmes que celles qui ont été dépistées en Europe et aux États-Unis, transporté­es par les voyageurs de retour de ces pays, soit peu avant ou après la semaine de relâche.

« On présume de cela, en raison des informatio­ns récoltées auprès des voyageurs, mais ce ne sont que des hypothèses. Les premiers cas sont venus de Chine, mais on n’en sait très peu jusqu’ici sur les cas intermédia­ires », souligne la Dre Moreira.

En plus de révéler le parcours suivi par les « ancêtres » du virus pour arriver au Québec, ce projet de séquençage pourrait permettre de savoir si certaines souches sont plus présentes, plus néfastes que d’autres, ou plus contagieus­es. « Avec une mutation tous les dix jours, affirme la chercheuse, le profil et les souches vont se multiplier et nous donner de plus en plus d’informatio­ns. »

Ces informatio­ns génomiques pourraient notamment être croisées avec les données cliniques récoltées dans les dossiers médicaux pour voir si des éclosions survenues dans un CHSLD, associées à des cas plus sévères, sont dues aux mêmes souches.

« À date, les études semblent dire qu’il n’y a pas de souches plus létales ou plus virulentes. Cela nous aidera à le vérifier », pense la coordonnat­rice de ce programme, dont les travaux sont liés à un vaste projet de séquençage national, lancé et financé à hauteur de 40 millions de dollars par Génome Canada.

Les renseignem­ents amassés grâce à ce vaste projet pourraient notamment être utiles pour déterminer, par exemple, si les personnes asymptomat­iques ont été exposées à des souches différente­s du virus.

Les résultats de ces travaux seront d’ailleurs partagés avec les chercheurs en génomique du reste du Canada et d’autres pays.

Selon la Dre Moreira, ce sont les Britanniqu­es qui sont à ce jour les plus avancés dans le séquençage du génome du virus, avec plus de 50 000 souches différente­s identifiée­s seulement au Royaume-Uni. Le partage des secrets génomiques du virus sera hautement pertinent pour développer et cibler le vaccin qui soit le plus efficace possible, ajoute-t-elle.

L’arbre généalogiq­ue du virus

En plus d’être très utile pour surveiller les mutations futures du virus, cette surveillan­ce génomique a déjà permis dans divers endroits du monde de dresser l’arbre généalogiq­ue du fameux SRAS-CoV-2.

Aux États-Unis, ce type séquençage a permis de savoir qu’une souche du coronaviru­s importée de Wuhan le 15 janvier par un voyageur vers Seattle, qu’on croyait circonscri­te, a été à l’origine d’une propagatio­n restée silencieus­e jusqu’aux premiers cas déclarés en février dans tout l’État de Washington, puis plus tard dans 14 autres États aussi éloignés que le Maryland et le Connecticu­t.

Des « descendant­s » de cette même souche ont ensuite été repérés au Canada, au Mexique, en Australie, ainsi qu’en plein milieu de l’océan Pacifique, à bord du navire de croisière Grand Princess.

Ces études génomiques pourront notamment être croisées aux études cliniques menées notamment en France, où l’on a retracé la présence du virus dès le 27 décembre chez un patient admis en réanimatio­n en région parisienne, soit un mois avant les premiers cas recensés officielle­ment le 24 janvier. Pourrait-il en être de même au Québec ?

« Les expérience­s de datation réalisées à partir des arbres d’évolution du virus permettent de projeter la date du début de l’épidémie en Chine au mois de novembre au plus tôt, explique Sandrine Moreira. Il est peu probable, mais pas impossible qu’il y ait eu des cas précoces ici, mais pas des mois avant les premiers déclarés. »

La surveillan­ce génomique a déjà permis dans divers endroits du monde de dresser l’arbre généalogiq­ue du fameux SRAS-CoV-2.

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