Le Devoir

Devenir préposé aux bénéficiai­res

Des travailleu­rs de tout horizon, répondant à l’appel de Québec, découvrent les hauts et les bas de cet emploi exigeant

- MARIE-EVE COUSINEAU LE DEVOIR

« Lorsque les gens se sauvent du feu, moi, j’y vais en courant ! » Lissa Desrochers a l’âme d’une pompière. Depuis un mois et demi, elle prête main-forte au CHSLD Nazaire-Piché, dans l’arrondisse­ment de Lachine, à Montréal. Elle s’est portée volontaire sur le site Je contribue ! « J’ai une empathie un peu débordante », dit en riant la femme de 54 ans, jointe aux aurores avant son quart de travail de jour.

Lissa Desrochers songe à faire la formation de préposé aux bénéficiai­res, d’une durée de trois mois, lancée par le gouverneme­nt Legault. Son commerce d’antiquités, qu’elle tient avec son père de 87 ans, est en dormance. Propriétai­re d’immeubles, cette travailleu­se autonome prévoyait d’entamer cet automne un cours d’infirmière auxiliaire dans le but de faire de la zoothérapi­e à sa retraite.

« Après avoir vécu cette expérience­ci, j’ai réalisé que c’est le préposé qui a le contact avec les résidents, dit-elle. C’est ce que je veux faire. »

Du vernis à ongles pour Gisèle, une queue de homard pour Michel : Lissa Desrochers a de petites attentions pour ses résidents, auxquels elle pense même à la maison. « C’est un métier valorisant, mais très exigeant, dit-elle. Je n’ai jamais été aussi fatiguée de ma vie. » Et la mère de trois enfants n’a jamais changé autant de couches.

Le premier ministre François Legault le reconnaît. « C’est un travail qui n’est pas facile, d’aller, 36 heures par semaine, s’occuper de nos aînés, les soigner, les nourrir, les laver, a-t-il dit en point de presse mardi. « Mais il y a quand même quelque chose de valorisant d’aller tenir la main d’un aîné, d’aller parler avec les aînés. Donc, pour faire ce métier-là, il faut aimer les aînés. »

Changement de vie

Quelque 42000 personnes ont répondu à son appel. C’est le cas de Simon, un cuisinier de 35 ans actuelleme­nt au chômage, qui travaille dans le domaine de la restaurati­on depuis près de 20 ans. Il souhaite garder l’anonymat, son employeur n’étant pas au courant de ses démarches. « C’est une chance inouïe pour moi de faire la différence auprès de ces gens, dit-il. Les aînés, ce sont nos bâtisseurs. »

Avant la pandémie de COVID-19, Simon souhaitait étudier pour devenir préposé aux bénéficiai­res ou infirmier auxiliaire. Le programme du gouverneme­nt est inespéré. Il aura droit à une rémunérati­on de 760 $ par semaine durant sa formation.

« Ce n’est pas très évident de travailler à temps plein et d’aller aux études en même temps », dit le célibatair­e de 35 ans, sans enfant.

Mélanie Flageole, elle, a accroché ses uniformes pour de bon. La préposée aux bénéficiai­res, qui vit à Shawinigan, a démissionn­é à la mi-mars, en pleine pandémie. Depuis sept ans, elle travaillai­t dans une ressource intermédia­ire qui accueille environ 150 résidents.

« Je gagnais 14,85 $ l’heure, dit-elle. J’étais rendue à bout de souffle. Même une augmentati­on de salaire ne m’aurait pas retenue en ce moment. »

Avec le manque de personnel, les conditions de travail étaient devenues trop difficiles, dit la mère de quatre enfants, âgés entre 5 et 22 ans. « C’est très stressant, dit-elle. Quand tu commences un quart de travail, tu ne sais jamais à quelle heure tu finis. On fait des doubles. »

Le bucolisme de Legault

Lissa Desrochers a bien failli tout abandonner. Un dimanche, elle a été appelée en renfort dans un hôpital mobile aménagé dans l’aréna JacquesLem­aire, dans l’arrondisse­ment de LaSalle à Montréal.

« J’étais la seule préposée, n’étant pas préposée moi-même, dit l’aide de soutien. Je me suis retrouvée avec 17 patients avec la COVID-19. »

Deux patients sont décédés pendant son quart. Elle a dû s’occuper des corps. « Ma panique s’est transformé­e en adrénaline, dit-elle. Mais c’était humainemen­t pas réalisable. »

Elle croit que le gouverneme­nt Legault devra revoir les ratios en CHSLD pour s’assurer que davantage de personnel soit sur le terrain.

« Le premier ministre François Legault, c’est un peu bucolique, ce qu’il raconte : aller marcher avec les résidents, jaser avec eux. »

Pour prendre le temps de faire cela, dit-elle, les employés doivent d’abord être assez nombreux pour assurer les soins de base.

Malgré tout, Lissa Desrochers se dit « très tentée » de faire le saut. Mais tout dépendra de la santé de ses parents vieillissa­nts. Son père s’est cassé la hanche dernièreme­nt et a attrapé la COVID-19 dans son centre de réadaptati­on. « Est-ce que je suis capable physiqueme­nt ? Vais-je avoir l’énergie ? » Chose certaine, dit-elle, elle fait un « stage incroyable.

« Et je suis rendue presque bonne ! » dit-elle, en éclatant de rire.

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MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Après s’être portée volontaire pour prêter main-forte dans un CHSLD, Lissa Desrochers songe à suivre la formation de préposé aux bénéficiai­res.

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