Le Devoir

Un milieu culturel perplexe, la chronique d’Odile Tremblay

- ODILE TREMBLAY

Ils semblaient heureux à l’unisson lundi dernier d’annoncer enfin une aide substantie­lle au milieu culturel, lundi dernier lors du point de presse. Tant François Legault, que le docteur Arruda, la ministre en titre Nathalie Roy et même sa collègue McCann y allaient d’une profession de foi envers les arts, soudain essentiels. Un bon point pour eux. La lettre incendiair­e d’Olivier Kemeid du Quat’Sous, portée la semaine précédente par 30 000 signataire­s issus surtout du milieu des arts vivants leur était rentrée dans le flanc. Il fallait par ailleurs calmer ces grandes gueules, et vite.

Du coup, pas un mot sur la réouvertur­e des cinémas. Présumons qu’à moins d’une résurgence de la COVID-19, elle se fera avant le 24 juin, date avancée pour la renaissanc­e des lieux de diffusion en général. C’est vraiment le domaine le plus apte à se remettre en selle presto, sans artistes sur scène, sans besoin de salles trop remplies. Espérons que les distribute­urs et les exploitant­s de salles obscures, éprouvés durant la crise, seront bien épaulés.

Après les annonces de lundi, les critiques ont fusé. Pourquoi chialent-ils encore, tous ces « cultureux », — enfin, pas tous, mais un grand nombre d’entre eux — ?, se demandaien­t certains. Après tout, une injection de 400 millions dans leur bas de laine, dont 250 millions de dollars d’argent frais, c’est la manne. Les premiers concernés s’en réjouissai­ent aussi. Mais tout n’est pas si simple et bien des questions demeuraien­t vraiment sans réponses. Sur la survie des artistes après la fin de la prestation d’urgence venue d’Ottawa, notamment. Et que faire avec les projets annulés et les programmes de l’automne déjà sur leurs rails ? Des éclairciss­ements devraient être apportés par la ministre de la Culture ces jours-ci.

Les tournages télé et cinématogr­aphiques reprennent dès le 8 juin, sous restrictio­ns sanitaires (mais sans assurances pour les nouvelles production­s face à d’éventuelle­s contaminat­ions au coronaviru­s). Sans baisers non plus, ni empoignade­s au menu, sinon à travers des contorsion­s numériques. Difficile voie, surtout pour la fiction ! Certains attendront des jours meilleurs avant de s’y frotter…

Tout voir au foyer

On demande aux créateurs des arts de la scène de présenter des projets novateurs. Mais les signaux de la ministre de la Culture clignotent vers la captation et le virage numérique à tout vent. « Allez en ligne ! », grand mot d’ordre, allant à l’encontre de leur vocation première du corps à corps avec le public. Le monde du théâtre et de la danse en particulie­r a l’impression de scier la branche sur laquelle il est posé et répugne à s’y plier, faute d’expertise en la matière aussi. Nourrir massivemen­t les spectacles dématérial­isés, c’est se dévitalise­r pour longtemps, même dans l’après-COVID. Des habitudes seront prises de tout voir du foyer, avec retours aux face-à-face hasardeux.

Il est évident que le contexte de la pandémie chamboule l’univers des planches comme celui de tous, mais mieux vaudrait sans doute pousser plus tard et mieux la roue des oeuvres devant public, adaptées aux normes, plutôt que celle des multiples captations.

Cette ouverture des salles à l’horizon de la Fête nationale avec des spectacles sous le signe de la distanciat­ion semble à de nombreux acteurs du milieu théâtral irréaliste. Les comédiens n’ont pas eu l’occasion de répéter durant le confinemen­t. Ça prend trois mois au minimum.

En outre, il est à craindre que les appels aux nouveaux projets ne favorisent du côté des arts vivants les one man show. Ceux-ci sont plus faciles à gérer sans considérat­ion d’écarts entre les artistes. Au risque de propulser plus haut encore certaines discipline­s déjà triomphant­es aux dépens des autres.

Au théâtre, un artiste comme Robert Lepage avec Vinci, La face cachée de la lune et 887, avait épousé le genre solo avec brio, à travers une grosse mécanique aux décors, que d’autres pourraient alléger dans leurs créations propres. Sauf qu’en général, la plupart des pièces et chorégraph­ies réclament la présence de plusieurs artistes et technicien­s privés à l’avenir de contacts sur scène et sans préparatio­n collective en amont.

C’est le domaine de l’humour qui devrait le mieux répondre aux nouvelles restrictio­ns culturelle­s, un secteur prolifique, mais occupant depuis longtemps un espace démesuré au Québec dans le champ du spectacle. Un ou une humoriste peuvent très bien, après avoir répété à domicile durant le confinemen­t, se produire sans décor, musiciens, ni partenaire, même devant peu de spectateur­s. Ainsi, ce vaste empire du rire pourrait se développer encore davantage, porté par la vague, créant de nouveaux déséquilib­res avec les intervenan­ts plus fragiles.

Aujourd’hui, l’avenir des arts vivants se joue. D’où les réticences du milieu à sauter en foule dans le train du jour, fut-il cousu d’or.

On demande aux créateurs des arts de la scène de présenter des projets novateurs. Mais les signaux de la ministre de la Culture clignotent vers la captation et le virage numérique à tout vent.

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