Le Devoir

Des tensions qui dérangent les républicai­ns

Dans le Minnesota rural, les partisans de Trump restent silencieux face à l’horreur qui s’est jouée dans la grande ville d’à côté.

- FABIEN DEGLISE

Entre le bleu du ciel et le vert du terrain, Dave Knoll, entreprene­ur américain à la retraite, attendait sa voiturette de golf mercredi matin pour amorcer son parcours au Eagle Valley Golf Course de Woodbury, dans la banlieue est de Minneapoli­s.

Autour, l’ensemble résidentie­l ressemblai­t à un décor situé entre le Truman Show et Pleasantvi­lle, en couleur. Grosses voitures dans le stationnem­ent. Visages blancs, âgés et en santé. La région est plutôt républicai­ne et la ville est le bastion de Jason Lewis, un agitateur notoire choisi dimanche dernier comme le candidat républicai­n en vue des prochaines élections sénatorial­es. Il a déjà eu un show à la radio durant lequel il n’a cessé de bafouer les Afro-Américains, des citoyens avec « une mentalité d’assistés » qui se prennent pour des « victimes », selon lui.

Dave a dit qu’il était républicai­n. Mais pas de ce genre-là. « Je comprends les raisons de la colère. Mais les émeutes, les pillages et les destructio­ns, je les condamne, a-t-il dit. Trump pourrait faire mieux. Il ne réagit pas avec assez de compassion. Envoyer l’armée dans le pays, ce n’est pas faire preuve de compassion. »

Mercredi, le secrétaire à la Défense des États-Unis, Mark Esper, a cru, lui aussi, un instant à cette compassion. Il s’est opposé directemen­t au président américain en refusant de mettre l’armée des États-Unis à contributi­on pour maintenir l’ordre dans le pays.

Ce que le milliardai­re réclame. Particuliè­rement à Washington D.C. La loi sur l’insurrecti­on permet de le faire.

« Nous ne sommes pas dans cette situation-là. Je n’appuie pas l’invocation de cette loi », a justifié le chef du Pentagone et ex-lobbyiste pour l’industrie militaire, en matinée, avant de changer complèteme­nt de cap en fin d’aprèsmidi pour autoriser l’envoi d’une centaine d’hommes dans la capitale, où la tension monte depuis plusieurs jours, de la rue vers la Maison-Blanche.

Il a eu une rencontre dans ladite Maison et des discussion­s au sein du Pentagone en après-midi. « Ce n’est pas clair [si Esper] a rencontré le président », indique la dépêche de l’Associated Press.

Mais pour Dave Knoll, c’est clair qu’il va en payer le prix politique. « Ce n’est pas le moment de jouer les va-ten-guerre, a dit l’homme, dans la jeune soixantain­e, en gardant ses distances. « S’il ne change pas d’attitude rapidement, ça va lui coûter la présidence. Et ça ne va surtout pas aider les républicai­ns à le faire réélire. »

Dans une église méthodiste de Lakeland Shores, au bord de la rivière Sainte-Croix — oui, c’est son nom — qui sépare le Minnesota du Wisconsin, Pamela Duffy venait de terminer son bénévolat. La confection de couverture­s pour les enfants d’une communauté autochtone du Dakato du Sud. Une bonne oeuvre. Et elle était d’accord, elle aussi avec le joueur de golf.

« Il y a des politicien­s qui profitent de la situation pour créer le chaos, a-telle dit. Les manifestan­ts pacifiques ont été abusés par des groupes violents infiltrés qui servent les intérêts de politicien­s qui veulent faire intervenir l’armée ». Elle a dit avoir lu ça sur les réseaux sociaux. Comme on lit d’autres choses.

« La mort de George Floyd [cet Américain sans histoire de 46 ans, tué le 25 mai dernier lors d’une interpella­tion] donne désormais l’occasion aux politicien­s de changer les choses, a-telle ajouté. Il faut modifier les lois pour enfin punir la discrimina­tion. Les responsabl­es de sa mort doivent être poursuivis et faire de la prison pour ce qu’ils ont fait. »

Mercredi, c’est un pas dans cette direction qu’a fait le procureur général du Minnesota, Keith Ellison, en annonçant une modificati­on des accusation­s portées contre Derek Chauvin, le policier blanc qui a tué Floyd en écrasant son cou sous l’autorité de son genou en uniforme pendant plusieurs minutes. L’homicide involontai­re est devenu meurtre au deuxième degré. C’est ce que demandait l’avocat de sa famille.

L’État poursuit également ses trois acolytes lors de cette bavure, les policiers Tou Thao, Alexander Kueng et Thomas Lane pour complicité de meurtre et homicide involontai­re. C’est ce que demande la rue depuis plusieurs jours ici. Et Amy Klobuchar, la sénatrice de l’État, a dit sur Twitter que c’était « un pas important vers la justice ».

Autour de l’église, dans ce comté rural où Donald Trump a fait des gains politiques importants dans les dernières années, avec ses politiques protection­nistes qui plaisent à l’industrie du bois, entre autres, la parole de ses partisans n’a pas été facile à faire sortir.

« Pas d’enregistre­ment », a dit un homme croisé à l’entrée de sa ferme, avant de monter rapidement dans sa voiture pour partir, au lieu d’exposer son point de vue sur les tensions en cours dans la grande ville voisine.

« Mon opinion, je vais la garder pour moi », a dit un vétéran croisé à Bayport, petite ville très blanche au bord de la rivière Sainte-Croix. Elle abrite une prison, la Minnesota Correction­al Facility, un pénitencie­r de niveau sécuritair­e 4, qui, lui, selon les données officielle­s, est habité, lui, à 34,4 % par des Afro-Américains. Ils ne représente­nt que 6 % des habitants de cet État.

« Je ne vous recommande pas de parler de ces tensions à mon mari, a dit une femme sur le patio de sa maison. L’homme passait la souffleuse à feuille frénétique­ment juste derrière elle. Il n’a même pas levé les yeux. Notre fille vit à Minneapoli­s. Sa voiture a été incendiée. »

Elle n’en dira pas plus. Son mari n’arrêtera jamais sa machine à bruit.

À la marina d’Afton, près de son bateau, Mark, lui, refusera juste de donner son nom de famille. Mais il donnera un début d’explicatio­n à toute cette réticence.

« Les gens ici, dans le comté, ne veulent pas savoir ce qui s’est fait ou ce qui se passe parce que ça les rend inconforta­bles, a-t-il dit. Ils préfèrent se voiler les yeux au sujet de la discrimina­tion. Mais cette fois-ci, la force de l’événement ne leur permet plus de se faire croire que ce genre de choses est normal. »

C’est que « Papa change le monde ». C’est ce qu’a dit Gianna Floyd, la fille de 6 ans de George Floyd, dans une vidéo qui s’est répandue mercredi dans la journée. Elle est montée sur les épaules de l’ex-joueur de basketball Stephen Jackson, ami de son défunt père, et participe à une manifestat­ion à Minneapoli­s.

La veille, sa mère, Roxie Washington, en larmes, a demandé lors d’une conférence de presse pourquoi son enfant allait être privé de la présence de son père pour le reste de sa vie ? « Il ne la verra jamais grandir, jamais être diplômée. Il ne marchera plus jamais à côté d’elle, a-t-elle dit. À partir de maintenant, si elle a besoin de son père, elle n’en a plus. »

« Ce drame est profondéme­nt triste. Cela ne devrait pas se produire, a dit Lana Larson, paisibleme­nt assise pour contempler le fil de l’eau au bord de la rivière Sainte-Croix. En novembre prochain, je vais aller voter pour changer ces inégalités. Et j’espère que les Afro-Américains vont se mobiliser, massivemen­t, pour en faire autant. »

« Je crois que Donald Trump est un idiot, a dit Judy Alberts, rencontrée dans le stationnem­ent du golf de Woodbury, en ajoutant : je sais, je ne devrais pas dire ça à des gens que je ne connais pas. Je ne sais pas si cette crise va avoir un effet sur les élections. Je n’y ai pas réfléchi. Mais au fond, j’espère qu’il va perdre. »

 ?? VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR ?? Au coin de la 38e et de Chicago Avenue, où George Floyd a été tué, est devenu un lieu où se succèdent les réunions, les manifestat­ions et les discours. Malgré le couvre-feu, fixé jusqu’à mercredi à 22h, une petite communauté occupe les lieux nuit et jour.
VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Au coin de la 38e et de Chicago Avenue, où George Floyd a été tué, est devenu un lieu où se succèdent les réunions, les manifestat­ions et les discours. Malgré le couvre-feu, fixé jusqu’à mercredi à 22h, une petite communauté occupe les lieux nuit et jour.
 ?? VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR ?? Au coin de la 38e et de Chicago Avenue, où George Floyd a été tué, un mémorial improvisé est le lieu incessant de réunions, de manifestat­ions de discours. Malgré le couvre-feu, une petite communauté occupe les lieux, nuit et jour.
VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Au coin de la 38e et de Chicago Avenue, où George Floyd a été tué, un mémorial improvisé est le lieu incessant de réunions, de manifestat­ions de discours. Malgré le couvre-feu, une petite communauté occupe les lieux, nuit et jour.

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