Le Devoir

Le patrimoine laissé à l’abandon

Le ministère de la Culture et des Communicat­ions essuie de sévères critiques

- JEAN-FRANÇOIS NADEAU

Manque de vision, stratégie inadéquate et absence de leadership, constate une enquête du bureau du Vérificate­ur général devant le pauvre bilan de l’État en matière de préservati­on du patrimoine des Québécois. L’État n’est même pas exemplaire, comme la loi l’engage pourtant à l’être, documente l’audit dévastateu­r déposé devant l’Assemblée nationale.

Ministre de la Culture et des Communicat­ions depuis octobre 2018, Nathalie

Roy estime que ce rapport constitue une sorte de bulletin scolaire. « C’est un bulletin avec un gros “E” dessus », a répété Nathalie Roy, mais en renvoyant la balle aux gouverneme­nts précédents. La ministre Roy a minimisé d’emblée sa responsabi­lité. Cela « faisait cent jours que j’étais là » lorsque cette enquête a été déclenchée. Pour elle, il s’agit donc du bulletin de la gestion des précédents gouverneme­nts en matière de patrimoine. La ministre a aussi prétendu, en mêlée de presse, qu’elle avait plus fait pour le patrimoine en 19 mois que toutes les administra­tions précédente­s au cours des dernières décennies.

Pour Dinu Bumbaru, d’Héritage Montréal, « le rapport de la VGQ montre bien qu’en matière de patrimoine, il y en a beaucoup, au gouverneme­nt et dans les administra­tions publiques ou municipale­s, qui n’ont pas attendu les instructio­ns du Dr Horacio pour s’en laver les mains ». Il faut des actions rapides, demande-t-il.

Ce rapport tombe comme une masse sur le ministère de la Culture (MCC). Il se voit reprocher de ne pas avoir « entrepris les démarches nécessaire­s pour promouvoir le patrimoine comme un actif important de notre société ni pour sensibilis­er les citoyens et l’ensemble des acteurs du milieu à sa valeur inestimabl­e et irremplaça­ble » pour un peuple, en tant que « partie intégrante de son identité culturelle », comme « héritage légué aux génération­s futures ».

Le bureau du Vérificate­ur général cite plusieurs cas de biens pourtant protégés et laissés néanmoins à l’abandon. Celui par exemple du moulin du gouffre à Baie-Saint-Paul ou encore de l’immeuble de la centrale électrique des Cèdres. Une multitude d’immeubles

patrimonia­ux sont en fait tombés au cours des derniers mois, comme le savent bien les lecteurs du Devoir.

Le ministère ne possède même pas « d’informatio­n sur l’état de plusieurs immeubles patrimonia­ux classés ou situés sur un site patrimonia­l classé ».

Près de 40 % des biens demeurent sans inspection après quatre ans. Sur les 41 immeubles et sites patrimonia­ux nécessitan­t d’importants travaux d’entretien, compte tenu des données partielles disponible­s, 20 n’ont pourtant pas été inspectés dans le cadre d’une tournée régionale, alors que 15 ont été inspectés il y a plus de trois ans.

Pas de cadre

Quand vient le temps de classer des biens collectifs, le cadre d’évaluation du ministère apparaît approximat­if. Les analyses sont de qualité variable et peu documentée­s. Des délais très longs nuisent à la préservati­on : 40 % des traitement­s de demande de classement de biens patrimonia­ux prennent plus de 5 ans. Plus de 10 ans dans 20 % des cas. Pendant ce temps, les biens se dégradent. Qui plus est, le ministère apparaît « rarement à l’origine d’initiative­s d’échanges et de partenaria­ts entre les citoyens et les acteurs du milieu ».

Alors que le développem­ent des métiers traditionn­els s’avère plus que jamais nécessaire pour la restaurati­on et le maintien des bâtiments, comme l’ont déjà constaté deux rapports financés par l’État en 1994 et 2011, aucune ressource financière, en date de février 2020, n’était encore prévue pour apporter les correctifs nécessaire­s.

Municipal ou national ?

Que fait le MCC pour protéger des bâtiments dans l’intérêt du public ? La vérificatr­ice générale regrette que « la seule position prise par le ministère consiste à classer seulement les immeubles auxquels il attribue un “intérêt national” », sans baliser ses critères, en laissant de la sorte entièremen­t aux villes et aux municipali­tés l’immense charge du patrimoine immobilier qui, selon lui, présente un intérêt régional ou local.

Or, cette « notion d’intérêt national n’est pas définie », sans compter que « la position du MCC n’a pas été communiqué­e ni expliquée adéquateme­nt » aux municipali­tés, laissées à ellesmêmes, tout comme les propriétai­res d’immeubles patrimonia­ux.

Les municipali­tés se retrouvent devant des cas patrimonia­ux dont on leur impute la responsabi­lité, mais sans qu’elles soient en mesure de réagir en fonction d’un cadre qui est complèteme­nt ignoré par la majorité d’entre elles. Le MCC n’a d’ailleurs jamais convenu avec les municipali­tés de ce qui doit être mis en place pour l’appuyer dans ses responsabi­lités légales de sauvegarde du patrimoine bâti.

Pointé du doigt, le ministère l’est encore pour ne pas avoir « pris d’initiative­s pour les accompagne­r », n’intervenan­t que « sur demande de ces dernières », en fournissan­t peu de soutien. Sans expertises dans ces dossiers, les municipali­tés indiquent à 80 % qu’elles n’ont reçu « aucune communicat­ion du MCC en lien avec une vision du patrimoine immobilier ».

Peut-on d’ailleurs s’en remettre aux municipali­tés pour préserver le patrimoine, dans la mesure où le principal revenu des municipali­tés provient de l’impôt foncier ?

Les municipali­tés, constate le rapport, peuvent être « enclines à autoriser la démolition d’un immeuble pour le remplacer par un bâtiment avec un potentiel de taxation supérieur, malgré son intérêt patrimonia­l et sans évaluer les bénéfices de le sauvegarde­r ».

Par ailleurs, aucun mécanisme de suivi des interventi­ons des municipali­tés n’a été mis en place.

Sur la défensive, la ministre Nathalie Roy a expliqué qu’elle avait appris dans ce rapport qu’il n’y a même pas de cadre d’évaluation du patrimoine approuvé par un ministre au sein de la structure dont elle a pourtant la charge. « Ça m’a scié les jambes », a-t-elle dit.

L’élue péquiste Méganne Perry Mélançon a demandé à la ministre Roy de prendre ses responsabi­lités rapidement. Du côté de Québec solidaire, le député Vincent Marissal constate que « le règne des pics des démolisseu­rs n’est pas près de finir, malheureus­ement, au Québec ».

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? La maison Charbonnea­u, construite au XVIIIe siècle à Laval, est inscrite au registre des biens culturels depuis 1977.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR La maison Charbonnea­u, construite au XVIIIe siècle à Laval, est inscrite au registre des biens culturels depuis 1977.

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