La peur des mots
Au Québec comme ailleurs, la mort de George Floyd, étouffé sous le genou d’un policier de Minneapolis, a provoqué une indignation à laquelle l’Assemblée nationale a fait écho, mais on s’est bien gardé de réclamer l’examen de conscience collectif culpabilisant dont plusieurs invoquaient la nécessité il n’y a pas longtemps.
Dans la foulée de l’attentat de la grande mosquée de Québec, en janvier 2017, le gouvernement Couillard s’était rendu à la demande de nombreuses personnalités, mais aussi de Québec solidaire et de Projet Montréal, appuyés par la Commission-Jeunesse du PLQ, qui réclamaient la tenue d’une commission d’enquête sur la discrimination et le racisme systémique, comme le gouvernement de Kathleen Wynne en avait créé une en Ontario.
Des voix s’étaient aussitôt élevées pour s’opposer à un exercice qu’on craignait de voir se transformer en procès de la société québécoise tout entière et contribuer à la diviser davantage qu’à l’unir. La défaite du PLQ à l’élection partielle dans Louis-Hébert a eu l’effet d’un électrochoc. Manifestement, l’idée avait déplu aux électeurs, qui y avaient vu un blâme adressé aux Québécois, comme le répétait la CAQ. Le gouvernement avait aussitôt fait volte-face. La ministre de l’Immigration Kathleen Weil, qui dirigeait l’opération, avait été mutée à l’Accès à l’information et à la Réforme des institutions démocratiques. Son successeur, David Heurtel, s’était empressé de remplacer la commission d’enquête par un inoffensif « Forum sur la valorisation de la diversité et la lutte contre la discrimination », qui avait toutes les apparences d’une sortie de secours.
Le drame de Minneapolis a eu pour effet de remettre la question à l’avant-plan. Tout en admettant qu’il y a du racisme au Québec, le premier ministre Legault rejette toujours l’existence d’un racisme « systémique », ce qui est pourtant l’évidence, de peur que la population comprenne « systématique » et l’accuse de faire lui-même ce qu’il reprochait jadis aux libéraux.
Le PLQ et Québec solidaire ont eu le bon sens politique de ne pas insister pour inclure le qualificatif litigieux dans leurs motions. Ce refus d’appeler les choses par leur nom est sans doute désolant, mais le plus important est d’agir pour faire en sorte que cessent la discrimination et le profilage racial, qui demeurent le lot quotidien des minorités visibles au Québec. Les exemples sont trop nombreux pour qu’on puisse le nier.
Il est certain qu’une commission d’enquête peut aider une société à se regarder dans les yeux, mais le sujet est déjà suffisamment documenté pour qu’on soit en mesure de déterminer les mesures à prendre. Que le gouvernement Legault ait accepté de s’engager à « présenter, dans les meilleurs délais, un plan de lutte contre le racisme et la discrimination » constitue déjà un progrès. Il faudra toutefois s’assurer que cela ne se limite pas un voeu pieux.
On peut se demander pourquoi le gouvernement ontarien a pu se doter d’une Direction de lutte contre le racisme et créer une commission d’enquête sur le racisme sans que personne s’y oppose ou y voit une condamnation collective, alors que cela était perçu comme un crime de lèse-nation au Québec.
Diffusées en direct sur le Web, les audiences tenues dans une dizaine de villes ontariennes, dans un climat parfois très tendu, n’ont pourtant pas fait dans la dentelle. Le maire de Toronto, John Tory, qui y assistait, s’est fait dire : « Votre police est raciste. » À Hamilton, on a dénoncé « la discrimination de couleur qui existe depuis très longtemps dans les services de pompiers ». Un intervenant de confession sikhe a lancé au ministre délégué à l’Action contre le racisme, Michael Coteau : « Il y a des gens racistes dans le gouvernement même. »
Des décennies de Quebec bashing ont peut-être rendu notre épiderme plus sensible. La loi 22, puis la loi 101 ont été qualifiées de nazies dans le reste du Canada. Plus récemment, la charte des valeurs et l’adoption de la loi 21 sur la laïcité ont donné lieu à une nouvelle entreprise de culpabilisation. De manière générale, toute initiative visant à protéger l’identité québécoise a été présentée comme une manifestation d’intolérance et d’exclusion. Bien entendu, un Québec souverain serait le théâtre d’une violation systématique des droits des minorités.
Depuis la Conquête, des générations de Québécois se sont perçues comme des victimes. Même si bien des choses ont changé, ces derniers acceptent toujours mal qu’on les croie capables d’oppression. On peut toujours le comprendre, mais cela n’excuse rien. Il ne s’agit pas de s’autoflageller, mais simplement de regarder la réalité du racisme en face et de la changer.
Le drame de Minneapolis a eu pour effet de remettre la question du racisme à l’avantplan. Tout en admettant qu’il y a du racisme au Québec, le premier ministre Legault rejette toujours l’existence d’un racisme « systémique », ce qui est pourtant l’évidence, de peur que la population comprenne « systématique » et l’accuse de faire lui-même ce qu’il reprochait jadis aux libéraux.