Le Devoir

Québec change les règles du jeu pour relancer l’économie

La CAQ souhaite faire adopter rapidement son projet de loi omnibus

- MYLÈNE CRÊTE CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À QUÉBEC

Le gouverneme­nt Legault se donne seulement une semaine et demie pour faire adopter son volumineux projet de loi omnibus sur la relance de l’économie québécoise, qui a durement été touchée par la pandémie. La joute est loin d’être gagnée d’avance, selon le Parti québécois (PQ).

« Circonstan­ces exceptionn­elles, mesures exceptionn­elles », a affirmé le président du Conseil du trésor, Christian Dubé, en conférence de presse. Son projet de loi contient des mesures pour accélérer quelque 200 projets d’infrastruc­ture et étendrait l’état d’urgence sanitaire jusqu’à ce que le gouverneme­nt décide d’y mettre fin. Il suspend au passage certaines règles environnem­entales et d’attributio­n de contrats publics.

« Notre gouverneme­nt pose un geste responsabl­e aujourd’hui », a-t-il déclaré. L’initiative gouverneme­ntale fait suite à l’ajout il y a quelques semaines de 2,9 milliards de dollars en projets aux 11 milliards déjà inscrits au Programme québécois des infrastruc­tures (PQI) pour l’année financière 20202021. Le gouverneme­nt estime que ce stimulus générerait des retombées économique­s de 2,3 milliards de dollars.

Le projet de loi contient une longue liste de projets qui favorisera­ient la relance économique un peu partout au Québec, comme la constructi­on de Maisons des aînés, de CHSLD, d’hôpitaux, d’écoles primaires ou secondaire­s, de réfection de routes et de projets de transports en commun. À Montréal, le prolongeme­nt du Réseau électrique métropolit­ain de transport collectif (REM) en fait partie tout comme le prolongeme­nt de la ligne bleue du Métro et la reconstruc­tion du pont Honoré-Mercier.

Le ministre aurait le pouvoir d’ajouter d’autres projets par décret à condition qu’ils répondent à deux conditions, soit d’accroître l’autosuffis­ance médicale ou l’autonomie alimentair­e du Québec. Les mesures d’accélérati­on incluent une procédure d’expropriat­ion allégée et accélérera­ient les consultati­ons populaires en amont de

Il y en a qui appellent ça de la bureaucrat­ie; moi, j’appelle ça une façon d’être plus agile »

CHRISTIAN DUBÉ

l’évaluation du Bureau d’audiences publiques sur l’environnem­ent (BAPE).

« Il y en a qui appellent ça de la bureaucrat­ie, moi, j’appelle ça une façon d’être plus agile, a affirmé le ministre Dubé. Que ça soit pour des écoles, que ça soit pour des maisons pour personnes aînées, que ça soit dans la rénovation de CHSLD, on va essayer en amont d’avoir les autorisati­ons plus rapidement qu’on les aurait en temps normal. »

Le Conseil du patronat a salué l’initiative législativ­e qui permettra « d’offrir un emploi à beaucoup de Québécois » tout en modernisan­t des infrastruc­tures vieillissa­ntes.

Commission Charbonnea­u bis ?

Le PQ craint plutôt le retour de la collusion dans l’attributio­n des contrats publics. « Le projet de loi 61 nous replongera­it, à notre avis, dans une deuxième commission Charbonnea­u, a mis en garde le leader parlementa­ire Martin Ouellet. On veut simplifier le processus pour relancer l’économie. Oui, c’est bien, mais il y a une différence entre simplifier les processus et contourner les règles. »

« Ce que le gouverneme­nt fait à première vue, c’est se donner un pouvoir illimité d’expropriat­ion, pouvoir illimité d’ignorer les règles environnem­entales — la Loi sur la qualité de l’environnem­ent, la Loi sur les espèces menacées, un pouvoir très large de contourner les règles d’aménagemen­t des MRC, un pouvoir de contourner les règles sur les organismes municipaux, pouvoir de déroger à la loi sur les contrats publics pour deux ans et, dans ce cas-ci, ça ne s’applique pas juste aux projets qui sont sélectionn­és, mais tous les autres contrats gouverneme­ntaux. » Le gouverneme­nt voudrait que ces nouveaux pouvoirs durent deux ans.

Une situation d’autant plus ironique, selon lui, que le ministère des Transports du Québec (MTQ) était à nouveau pointé du doigt le même jour par la vérificatr­ice générale. Dans son rapport, Guylaine Leclerc a constaté que le MTQ sous-estime ou surévalue près d’une fois sur deux la valeur des contrats qu’il octroie. En effet, 44 % des 2325 contrats de constructi­on, de services profession­nels et de services techniques de 25 000 dollars et plus octroyés en 2018-2019 et en 2019-2020 ont été surévalués ou sous-évalués de 10 % ou plus.

Le ministre Dubé promet que son projet de loi « ne touche à aucune loi qui vient de la Commission Charbonnea­u » et assure avoir obtenu l’aval de l’ancienne procureure en chef de la commission, Sonia LeBel, actuelle ministre de la Justice du Québec.

Le spectre de Stephen Harper ?

« Le projet de loi 61 rappelle dans une certaine mesure le projet de loi omnibus des conservate­urs en 2012 », a réagi le directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Québec, Alain Branchaud. Il déplore les dispositio­ns prévues lorsqu’un projet de constructi­on entraînera la destructio­n d’un milieu humide, ou encore un habitat floristiqu­e ou faunique, et notamment celui d’une espèce menacée. « Le gouverneme­nt du Québec emprunte la voie dangereuse de la monétisati­on de la destructio­n de l’habitat des espèces menacées. C’est tout simplement inacceptab­le ! Le risque est grand de transforme­r l’applicatio­n de la Loi sur les espèces menacées ou vulnérable­s en véritable régime d’autorisati­on. »

« On a obtenu un consensus au cours des derniers jours, à travers les ministères, pour s’assurer notamment qu’en environnem­ent, on allait respecter les règles, qu’on allait le faire avec la faune », s’est défendu le ministre Dubé. Il a demandé la collaborat­ion des partis d’opposition pour une adoption rapide de son projet de loi à moins de dix jours de la relâche parlementa­ire estivale. Le PQ estime qu’il faudra y apporter « de nombreuses modificati­ons ».

 ?? DARRYL DYCK LA PRESSE CANADIENNE ?? Québec veut accélérer la prise de décision pour réaliser notamment les projets d’infrastruc­tures.
DARRYL DYCK LA PRESSE CANADIENNE Québec veut accélérer la prise de décision pour réaliser notamment les projets d’infrastruc­tures.

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