Le Devoir

Développem­ent durable et culture

- Louise Sicuro

La lutte contre la COVID-19 nous plonge dans une crise qui bouleverse nos certitudes. Est-ce que cette crise va modifier notre façon de vivre et notre rapport aux autres ? Le Devoir a demandé à différente­s personnali­tés de réfléchir aux conséquenc­es de la pandémie dans nos vies. Cette réflexion vous est présentée en page Idées pendant quelques semaines. Aujourd’hui : Louise Sicuro et la culture.

La situation de confinemen­t nous aura révélé à quel point les arts et la culture représente­nt des points d’ancrage où s’accrocher pour résister à la tempête, briser la solitude ou retrouver courage. On ne compte plus le nombre d’initiative­s et d’oeuvres partagées par les artistes et des organismes pour nous divertir, nous inviter à la réflexion ou nous apaiser. La solidarité des artistes et des travailleu­rs culturels à l’égard de leurs concitoyen­s, confinés comme eux, révèle leur grande humanité et leur besoin irrépressi­ble de continuer de créer et de s’exprimer.

Comme le dit si justement l’auteur Paolo Girodato : « Le bien-être n’est plus individuel mais social. Dans la contagion, nous redevenons une communauté. »

Au moment où on redécouvre les vertus de la consommati­on locale et de la solidarité de proximité, il est grand temps de conjuguer développem­ent durable et développem­ent culturel.

Culture, démocratie et développem­ent durable

La culture a ses racines dans un territoire et elle se développe en reflétant et en remettant en question les valeurs et les émotions de ceux qui y vivent. La culture, c’est ce que nous apprenons, transporto­ns, transmetto­ns et fabriquons tout au long de notre existence, de matériel et d’immatériel. Les artistes puisent dans la nature et la culture pour créer. Quand les oeuvres enrichisse­nt la culture, sans appauvrir la nature, nous progresson­s comme collectivi­té et comme civilisati­on.

Les stratégies publiques de développem­ent culturel ne peuvent faire l’économie d’actions concertées de démocratis­ation de la culture sans compromett­re la solidité et la durabilité du lien social, tout comme la capacité pour les individus et les communauté­s locales de tendre vers un légitime et souhaitabl­e désir d’émancipati­on. En effet, les arts et la culture génèrent la confiance sociale sans laquelle la démocratie, le maintien des institutio­ns et l’économie tomberaien­t en panne. Dans un contexte mondialisé où l’on constate la perte des repères, la fragilité du lien social, l’affaibliss­ement des valeurs, il ne faut plus seulement, comme le disait Jacques Rigaud, « démocratis­er la culture, mais démontrer qu’elle est l’accompliss­ement même de la démocratie ».

Pas de relance sans culture

La conjonctur­e actuelle crée à la fois une obligation urgente et une formidable occasion de renforcer les liens entre la création artistique, le développem­ent culturel et les préoccupat­ions quotidienn­es de nos concitoyen­s.

En effet, même si les différents ordres de gouverneme­nt ont progressiv­ement augmenté leurs investisse­ments en culture depuis quelques années et bien que la nouvelle politique culturelle du Québec déposée en 2018 ait été saluée par les milieux directemen­t concernés, beaucoup de travail reste à faire pour que la culture devienne une dimension incontourn­able de notre vie en société.

Actions structuran­tes

Alors qu’une bonne partie du secteur culturel est malheureus­ement encore paralysée par les effets de la pandémie, il me semble important de rappeler l’importance primordial­e d’actions structuran­tes qui doivent être prises en compte dans les plans de relance qui sont élaborés par les instances gouverneme­ntales et nos institutio­ns publiques.

Remédier à la précarité financière dans laquelle sont maintenus trop d’artistes, trop de travailleu­rs culturels et trop d’organismes artistique­s. Un financemen­t adéquat, juste et prévisible du secteur culturel serait une dépense publique rentable sur les plans social et économique. L’investisse­ment en culture devrait soutenir des emplois décents, renforcer la résilience des communauté­s, aider à contrer le décrochage social et scolaire des jeunes et accompagne­r les personnes tout au long de leur vie.

Porter une attention particuliè­re aux artistes indépendan­ts, aux artistes autochtone­s et à ceux de la diversité, parce que c’est eux qui renouvelle­nt nos institutio­ns. Les artistes sont des penseurs et des chercheurs qui se questionne­nt sur les défis de notre temps et apportent aussi des réponses. Ce sont des gardiens de ce que nous sommes et les éclaireurs des chemins que nous pouvons emprunter pour dépasser les limites de nos conditions individuel­les et collective­s.

Accélérer l’acquisitio­n de connaissan­ces numériques et bâtir les infrastruc­tures nécessaire­s pour mettre en oeuvre des stratégies de communicat­ion et de diffusion qui ne seront pas monnayées et récupérées par les géants du Web. Il faut protéger la propriété intellectu­elle de nos créateurs tout en favorisant le partage démocratiq­ue de leurs oeuvres.

Mettre en place des mesures fiscales additionne­lles pour encourager les dons en culture et l’engagement des citoyens à investir dans nos entreprise­s culturelle­s.

Faire de l’éducation culturelle une priorité transversa­le dans nos écoles pour développer la capacité d’idéation et la pensée critique. C’est une des clés de voûte d’un développem­ent culturel « durable ». Il est plus que jamais primordial de maintenir le lien entre les milieux culturel et scolaire pour une vie culturelle de proximité.

Lancer des conversati­ons nationales sur les arts, la culture et le mieux-être des collectivi­tés réunissant les artistes et leurs associatio­ns, mais aussi les citoyens et les dirigeants des secteurs de l’éducation, de la recherche, des affaires et de la santé, pour qu’on puisse unir nos intelligen­ces, nos capacités et nos réseaux pour favoriser un développem­ent culturel intégré à nos milieux de vie. Couplé à une stratégie de communicat­ions à l’échelle nationale, cet exercice pourrait devenir un vaste mouvement d’appropriat­ion ou de réappropri­ation des arts et de la culture par les citoyens du Québec, qui se déploierai­t à la grandeur du territoire tout au long de 2020, de 2021 et au-delà.

Avant d’être une industrie ou même un secteur d’activité, la culture est une dimension de notre vie individuel­le et collective. Réveillons les solidarité­s et relançons la vie culturelle du Québec en n’oubliant personne.

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ADIL BOUKIND LE DEVOIR Louise Sicuro est présidente-directrice générale de Culture pour tous.

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