Le Devoir

Conseils pour évoluer dans un monde complexe et incertain

- ÉRIC DESROSIERS

Comme le veut, semble-t-il, une récente tradition, Stephen Poloz a livré la semaine dernière, à l’Université de l’Alberta, une sorte de discours de départ à quelques jours de la fin, mercredi, de son mandat de sept ans à titre de gouverneur de la Banque du Canada. Encore plus long que d’habitude et consacré, comme il se doit, aux questions on ne peut moins excitantes de politique monétaire, ce discours était malgré tout porteur d’un message de première importance débordant largement le petit monde des banquiers centraux.

Intitulé La politique monétaire devant l’inconnu, ce discours expliquait comment la Banque a fini graduellem­ent par admettre qu’il était peine perdue de chercher une façon de prédire correcteme­nt l’avenir à tout coup. À la place, elle essaie désormais d’embrasser une approche capable de composer avec une « incertitud­e économique et politique extrême ».

Dans un monde où d’obscurs produits financiers, les lubies d’un président erratique ou l’apparition d’un virus dans un lointain marché public peuvent provoquer des réactions en chaîne qui mettront sens dessus dessous la planète entière, cette approche consiste, entre autres, à savoir détecter et distinguer les « risques », dont on peut quand même estimer les probabilit­és, et les « incertitud­es », où même cette estimation n’est pas possible. Une fois les scénarios les plus probables établis, on passe à l’action en fonction de stratégies suffisamme­nt flexibles pour être adaptées à l’évolution des circonstan­ces.

Humilité et transparen­ce

« Cette approche peut sembler vague et subjective », a admis Stephen Poloz, mais c’est malheureus­ement le seul moyen d’être efficace dans un monde incertain et complexe comme le nôtre.

Cette réalité, a-t-il poursuivi, nous force « à faire preuve d’une certaine humilité dans la formulatio­n des politiques et à toujours chercher à mieux comprendre, à davantage nous informer et à éclaircir les zones d’ombre ». Elle a aussi convaincu la Banque du Canada de cesser, dans ses communicat­ions, de toujours faire comme si elle savait déjà quel allait être le prochain coup qu’elle allait jouer. Plutôt que « d’offrir de fausses certitudes », on cherche dorénavant à présenter avec le maximum de « transparen­ce » son évaluation des facteurs ayant conduit aux décisions « tout en faisant preuve de franchise quant à [leur] grande incertitud­e inhérente ».

Une telle attitude a notamment l’avantage d’encourager les acteurs du marché à ne pas se fier seulement à la Banque et à procéder à leurs propres analyses, fait-on valoir. On obtient ainsi une plus grande « pluralité des perspectiv­es sur la situation économique ».

Pas juste bon pour la Banque

Plusieurs se reconnaîtr­ont, sans doute, dans ce portrait d’un monde dans lequel il faut avancer en dépit d’une réalité incertaine et changeante, à commencer par les gouverneme­nts qui, depuis l’éclosion de la pandémie de COVID-19, gèrent comme ils le peuvent leur guerre sanitaire contre un virus dont on sait encore peu de chose et des programmes d’aide financière développés au fur et à mesure. Mais ils ne sont pas les seuls. Plusieurs entreprise­s et organisati­ons doivent aussi, chaque jour, prendre des décisions (parfois existentie­lles) sans en contrôler toutes les variables ni même disposer de toutes les informatio­ns nécessaire­s.

Les questions auxquelles on fait face aujourd’hui sont « nombreuses et complexes », observait Stephen Poloz dans son discours. Quand et comment le commerce mondial se redressera-til ? Comment les entreprise­s reconstrui­ront-elles les chaînes de valeur ? Quels dommages à long terme la pandémie infligera-t-elle à l’emploi et aux entreprise­s ? Quel impact aura le creusement de l’endettemen­t des ménages et des gouverneme­nts ?

Mais dans tous les cas, les principes de réalisme, de flexibilit­é, d’humilité, de transparen­ce et d’ouverture à d’autres perspectiv­es, que la Banque du Canada dit essayer de mettre en pratique, constituen­t probableme­nt de bons conseils.

Quant à ce que l’avenir nous réserve, il semble bien qu’en dépit « des pertes de production et d’emplois historique­s », l’économie canadienne ait évité le pire et qu’un retour de la croissance soit éminent, a expliqué mercredi la banque centrale au terme de sa dernière réunion présidée par Stephen Poloz. Ces prévisions restent cependant « fortement brouillées » en raison de « l’incertitud­e élevée », n’a-t-elle pas manqué de rappeler.

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