Le Devoir

À Hong Kong, dans les petits papiers de Londres

Dans le viseur de Pékin et de sa loi antisubver­sion, les habitants de la région semi-autonome renouvelle­nt en masse leurs passeports britanniqu­es d’outremer, obtenus après la rétrocessi­on, pour pouvoir éventuelle­ment fuir.

- ANNE-SOPHIE LABADIE CORRESPOND­ANTE À HONG KONG LIBÉRATION

Longtemps, ils ont moisi au fond des tiroirs, délaissés comme d’inutiles documents de voyage. Mais aujourd’hui, les passeports britanniqu­es d’outre-mer (British National Overseas, ou BNO) deviennent des tickets pour l’exil, des pis-aller que s’empressent d’acquérir des Hongkongai­s anéantis par la perspectiv­e d’être surveillés par l’oeil de Pékin une fois la loi antisubver­sion appliquée.

« Je ne l’avais pas renouvelé depuis 2007, il ne me servait à rien vu que le passeport [de la région administra­tive spéciale] de Hong Kong nous permet d’aller dans beaucoup de pays sans visa », explique Dan, 40 ans. Mais en 2014, après les manifestat­ions monstres, « je l’ai renouvelé, car j’ai compris que le gouverneme­nt ne nous écoutait déjà plus, et malheureus­ement, il va peut-être m’être utile aujourd’hui ».

L’hostilité au gouverneme­nt central communiste s’est muée en révolte et, pour faire taire les opposants, Pékin veut imposer très vite sa loi sur la région semi-autonome. En réponse, Londres a ouvert ses bras aux quelque 3 millions de Hongkongai­s admissible­s selon lui au BNO, dont les droits seraient élargis à celui de travailler et de rester pour une période d’un an renouvelab­le.

« On se réjouit au moins de savoir que quelqu’un nous tend la main. Et je la prends, cette main », réagit Chow, salariée de 48 ans, qui ne sait cependant pas si ni quand elle prendra cette issue de secours. Elle attend de connaître le contenu de la loi et ses modalités d’applicatio­n. La presse locale évoque déjà la création d’une unité de police spéciale chargée de collecter des renseignem­ents et d’enquêter. « Un projet vraiment létal », selon Chow, mais qui, claironnen­t les autorités locales, a cependant un large soutien populaire, si l’on en croit les 3 millions de signatures d’une pétition lancée par ces dernières et les treize manifestan­ts qui ont ostensible­ment déchiré dimanche leur BNO (dont un échu) devant le consulat du Royaume-Uni pour dénoncer l’ingérence britanniqu­e.

« Chèque en bois »

Pékin a beau assurer que la stabilité reviendra, les projets de départ flottent pesamment dans l’air. En septembre déjà, un sondage de l’Université chinoise de Hong Kong révélait que 42 % des habitants souhaitaie­nt émigrer et, en 2019, plus de 120 000 demandes de renouvelle­ment de BNO ont été effectuées. « On attend avant de partir de voir jusqu’à quel point nos libertés d’expression et de rassemblem­ent vont être étouffées par le Parti communiste »,

explique Lo. « Mais j’ai 49 ans. Qui voudra de moi au Royaume-Uni, où c’est déjà la crise ? L’offre de Johnson est peut-être un chèque en bois », s’interroge celui qui préférerai­t, quitte à s’exiler, « un train de vie plus doux et moins cher en Asie ».

« Les Hongkongai­s ont bien compris qu’avec le Brexit et le départ des Européens, ils seront utiles pour pourvoir les postes et louer les maisons. Tout le monde peut bénéficier de cette dynamique », souligne Kelvin Lam, élu local. Mais « la principale question est de savoir si le BNO sera aussi accordé aux enfants des détenteurs ». Seules les personnes nées avant la rétrocessi­on, en 1997, ont droit au document. Or « les jeunes auraient dû avoir la priorité, car ils sont en première ligne face à la police », rappelle Lo. Ils sont aussi dans le collimateu­r des autorités. Sur les plus de 9 000 arrestatio­ns liées aux manifestat­ions, près de 20 % sont des mineurs et risquent jusqu’à dix ans de prison pour « émeute ». « Mon fils de 15 ans continue de manifester, je n’arrive pas à l’en empêcher. Ça va devenir vraiment très risqué, et je partirai peut-être pour le protéger, en espérant que les autorités britanniqu­es lui donneront aussi des papiers », témoigne Dan.

« Visa doré »

Les jeunes avaient constitué le gros de la deuxième vague de migration après l’échec des manifestat­ions prodémocra­tie de 2014, la première vague, massive, ayant été déclenchée par la peur du retour dans le giron chinois en 1997, rappelle John Hu, de l’agence d’immigratio­n Migration Consulting. Le seul 1er avril 1996, dernier jour d’inscriptio­n pour les BNO, les autorités avaient dû ouvrir un stade pour permettre aux quelque 35 000 candidats de patienter.

Selon John Hu, nous assistons aujourd’hui à une troisième vague, qui touche cette fois toutes les tranches d’âge et s’annonce « historique », même si le « on attend de voir » prédomine. Son agence a ainsi vu son activité multipliée par cinq depuis l’annonce par Pékin, le 21 mai, de la promulgati­on imminente de la loi antisubver­sion. « Le Royaume-Uni n’est pas la destinatio­n favorite parmi les pays anglophone­s, même si les université­s sont bonnes », car le niveau de vie élevé et certains types de visas (d’affaires et pour les start-up) sont difficiles à acquérir. À titre d’exemple, il faut débourser au moins 2,23 millions d’euros (3,4 millions de dollars canadiens) pour un « visa doré » (permis de séjour accordé contre des investisse­ments locaux) au Royaume-Uni, contre 500 000 (environ 760 000 $CA) au Portugal. Des prix inabordabl­es dans les deux cas pour de nombreux Hongkongai­s, dont un sur cinq vit sous le seuil de pauvreté.

Qui voudra de moi au RoyaumeUni, où c’est déjà la crise ?

LO»

Newspapers in French

Newspapers from Canada