Le Devoir

La Ville de Montréal a été incapable d’enrayer le racisme systémique

- JEANNE CORRIVEAU

La lutte contre le racisme et la discrimina­tion est un échec à Montréal. En plus de ne pas reconnaîtr­e le caractère systémique du racisme et de la discrimina­tion au sein de l’appareil municipal, la Ville de Montréal n’a jamais établi d’objectifs contraigna­nts qui auraient pu lui permettre de combattre adéquateme­nt ce phénomène, conclut l’Office de consultati­on publique de Montréal (OCPM) dans un rapport très critique publié lundi.

Afin de remédier à ces lacunes, l’organisme recommande que, dans un premier geste, la Ville admette l’existence du racisme et de la discrimina­tion systémique­s, et qu’elle s’engage concrèteme­nt à agir. Pour ce faire, elle pourrait créer un poste de commissair­e affecté à cette tâche et établir des objectifs précis et mesurables, suggère l’OCPM.

En 1989, la Ville avait fait une déclaratio­n claire contre la discrimina­tion raciale, mais, au fil des ans, les termes utilisés ont été édulcorés pour plutôt faire état de diversité, d’intégratio­n et de relations intercultu­relles, note l’OCPM dans son rapport de plus de 250 pages.

Après avoir entendu les témoignage­s de quelque 7000 personnes lors de consultati­ons menées l’automne dernier, l’OCPM constate qu’au fil des ans,

la Ville s’est surtout attardée à l’intégratio­n des personnes issues de l’immigratio­n, négligeant les autres aspects. De plus, le fait de ne pas reconnaîtr­e le caractère systémique du racisme et de la discrimina­tion l’empêche de remettre en question les politiques et les pratiques de ses services en matière d’emploi ou de sécurité publique, croit l’Office. « Tant que la Ville ne reconnaît pas qu’il peut y avoir un problème systémique, elle ne pourra pas faire les gestes nécessaire­s pour apporter des correctifs », souligne en entrevue la présidente de l’OCPM, Dominique Ollivier.

L’OCPM note aussi que l’action pour lutter contre le racisme et la discrimina­tion est éparse à la Ville, car les plaintes sont gérées par différents services comme le Contrôleur général ou l’Ombudsman. Personne n’est responsabl­e, tant au niveau administra­tif que politique, de s’assurer que les objectifs sont atteints, ce qui rend impossible une lutte efficace contre le phénomène.

Pour redresser la situation, l’OCPM formule 38 recommanda­tions, dont la première consiste à reconnaîtr­e publiqueme­nt « le caractère systémique du racisme et de la discrimina­tion, et à s’engager à les combattre ». Mercredi dernier, la mairesse Valérie Plante avait admis l’existence de « discrimina­tion systémique » à Montréal et, avec ce rapport qu’elle a en mains depuis le 3 juin, elle a décidé de soumettre au conseil municipal, dès lundi, une déclaratio­n pour que la Ville reconnaiss­e le caractère systémique du racisme et de la discrimina­tion et «réaffirme son engagement à agir et à mettre en place les mesures nécessaire­s pour les combattre».

Pour sa part, le directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a été moins catégoriqu­e sur la question du profilage racial lorsqu’il a été interrogé à ce sujet. « Y a-t-il eu des incidents de profilage ou des incidents de racisme ? Probableme­nt que oui », a-t-il dit.

L’OCPM suggère que la Ville de Montréal crée un poste de Commissair­e à la lutte contre le racisme et la discrimina­tion d’ici le mois d’octobre 2020 sur le même modèle que les postes de Commissair­e aux personnes en situation d’itinérance et de Commissair­e aux relations avec les peuples autochtone­s qu’elle a instaurés. Ce commissair­e, qui relèverait du directeur général, aurait pour mandat d’élaborer un plan d’action dans un horizon d’un an, d’en assurer le suivi et de faire une reddition de comptes annuelle. L’administra­tion devrait aussi nommer un responsabl­e politique du dossier.

Lacunes en matière d’emploi

En matière d’emploi, l’OCPM remarque que le Plan d’action pour la diversité de l’emploi de la Ville n’inclut pas de cibles ni d’échéancier. « Dans les plans d’action, on utilise beaucoup de verbes comme “favoriser”, “aider” ou “améliorer”, mais ce n’est pas très clair ce qu’on veut dire par là, et le cadre d’évaluation est encore moins clair », signale Dominique Ollivier. Malgré plus de dix ans d’efforts en matière d’égalité en emploi, seulement 2 % des cadres à la Ville sont issus des minorités visibles, ethniques ou autochtone­s.

En 2019, la Ville s’était fixé un objectif d’embauche de 33 % de personnes issues des minorités, ce qu’elle aurait atteint en six mois. Ce résultat fait dire à l’OCPM que « lorsque les objectifs sont clairs et que la volonté est fermement exprimée par la direction, la Ville peut rapidement atteindre ses cibles ». L’Office recommande donc que des objectifs précis et contraigna­nts soient établis en matière d’emploi et qu’une formation obligatoir­e sur le racisme et la discrimina­tion soit donnée aux employés.

Culture du déni au SPVM

Si le chef de police hésite à admettre l’existence de profilage racial au SPVM, l’OCPM n’a aucun doute à cet effet. La reconnaiss­ance du profilage racial et la capacité de changer la culture organisati­onnelle devraient d’ailleurs être des conditions d’embauche du prochain directeur, croit l’OCPM. Les candidats à ce poste devraient aussi faire une présentati­on devant le conseil de la sécurité publique, ajoute-t-on.

« L’existence du profilage a été reconnue par le comité exécutif en 2018, mise en avant par le Conseil intercultu­rel de Montréal quelques années avant et admise par un directeur du SPVM avant M. Caron. Mais tout à coup, en 2019, M. Caron dit qu’il est surpris d’apprendre que cela existe », indique Mme Ollivier, qui estime que la culture du déni ne peut plus durer.

Tout en adhérant aux recommanda­tions des chercheurs indépendan­ts qui, dans un rapport en octobre dernier, avaient relevé l’existence de « biais systémique­s » dans les interpella­tions policières, l’Office recommande d’interdire, sous peine de sanctions, les interpella­tions basées sur la race, la couleur, l’origine ethnique ou la religion. Les données au sujet des interpella­tions devraient être collectées de façon systématiq­ue et accessible­s au public, ajoute l’OCPM.

Parmi ses autres recommanda­tions, l’Office suggère que la Commission de la sécurité publique, qui réunit essentiell­ement des élus, accueille deux membres de la société civile.

Dominique Ollivier estime que le temps presse et que la Ville doit agir promptemen­t contre le racisme et la discrimina­tion. « Il y a urgence à agir. On ne peut plus jouer à l’autruche », dit-elle. La mairesse Valérie Plante commentera le rapport lundi matin.

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