Le Devoir

La loi 21 « renforce le racisme systémique »

Groupes, militants et citoyens dénoncent la Loi sur la laïcité de l’État de la Coalition avenir Québec un an après son adoption sous bâillon

- GUILLAUME LEPAGE

Depuis son adoption il y a un an, la Loi sur la laïcité de l’État a directemen­t contribué au racisme systémique qui sévit au Québec, ont dénoncé en choeur dimanche militants, enseignant­s et citoyens réunis à Montréal. Interpella­nt le premier ministre François Legault, leur message se voulait limpide : la contestati­on est loin d’être terminée.

« La loi 21 entretient et renforce le racisme systémique », a lancé à la foule Hanadi Saad, présidente et fondatrice de l’organisme Justice Femme. L’interdicti­on du port de signes religieux à certains employés de l’État [dont les enseignant­s] a surtout affecté des « minorités visibles déjà racisées », a-t-elle fait valoir avant d’être chaudement applaudie.

Plusieurs dizaines de personnes se sont rassemblée­s pour protester contre la pièce législativ­e controvers­ée, à l’avant-veille du premier anniversai­re de son adoption sous bâillon. La foule s’est massée devant les bureaux montréalai­s de François Legault, avenue McGill College au centre-ville.

Pancartes et banderoles à la main pour certains, tous ont répondu à l’appel lancé par le comité Non à la loi 21, formé notamment de la Coalition Inclusion Québec qui mène une fronde en cour présenteme­nt. Les intervenan­ts invités — essentiell­ement des femmes — ont tour à tour exigé au micro l’abrogation de cette loi « discrimina­toire » qui a créé « deux classes de citoyens ».

« La loi 21 ne protège pas l’identité québécoise, elle est créée pour faire du profilage religieux et racial », surtout envers les femmes musulmanes, a dit Hanadi Saad. À ses yeux, il ne fait aucun doute que cette loi « renforce » l’islamophob­ie au Québec, et elle en veut pour preuve des chiffres inquiétant­s récoltés par son organisme.

Au cours de la dernière année, Justice Femme a recensé plus de 300 cas d’incidents et de crimes haineux visant des femmes voilées. Ces actes vont de propos méprisants tenus en public ou en ligne à du harcèlemen­t au travail, en passant par des agressions physiques dans les transports en commun. La quasi-totalité d’entre eux n’ont pas été signalés à la police, car les victimes « ne font plus confiance au système », a soutenu Mme Saad.

Une cinquantai­ne d’enseignant­es portant le hidjab se sont également fait discrimine­r à l’embauche par des commission­s scolaires de la grande région de Montréal, soutient l’organisme, qui promet de déposer des plaintes à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ).

De plus, une trentaine de femmes portant le voile ont carrément fait une croix sur le métier d’enseignant­e. Du côté des garderies — dont le personnel n’est pas visé par la loi 21 —, une quinzaine d’éducatrice­s voilées ont été recalées en entrevue parce qu’elles refusaient de retirer leur hidjab au travail, avance Justice Femme.

« Je ne peux pas croire que je doive encore me battre pour faire comprendre qu’il n’est pas question que j’abandonne mon rêve pour apaiser de fausses craintes », s’est insurgée Ichrak Nourel Hak, une étudiante en enseigneme­nt fraîchemen­t diplômée. Celle qui réclame le droit d’exercer son métier s’est d’ores et déjà tournée vers les tribunaux.

En plus d’être « discrimina­toire », la loi 21 est « sexiste », a renchéri Bouchera Chelbi, enseignant­e dans une école de Montréal. « Notre gouverneme­nt se veut le champion des droits des femmes, mais pas des Québécoise­s qui n’ont pas la même façon de penser que lui », a-t-elle fait valoir.

De son côté, Bochra Manaï, figure connue des opposants à la loi 21, regrette que la fonction publique ne puisse jouer l’un de ses rôles élémentair­es : l’intégratio­n. L’interdicti­on du port de signes religieux nous prive de talents, déplore-t-elle, alors que les organismes publics manquent cruellemen­t d’employés issus de la diversité. Si le Québec veut que ses organismes publics soient représenta­tifs de sa population, il lui manque 26 000 employés membres des minorités visibles, dévoilait il y a une semaine un rapport de la CDPDJ.

« Évolution tranquille »

Les références faites dimanche au mouvement contre le racisme et la brutalité policière qui secoue la planète, ravivé par la mort de George Floyd aux États-Unis, furent nombreuses. Et souvent l’occasion d’écorcher au passage François Legault, qui a refusé jusqu’ici de reconnaîtr­e qu’il y a du « racisme systémique » au Québec.

Dire que c’est là une réalité ne voudrait pas de facto dire que les Québécois sont racistes, a expliqué l’enseignant­e Bouchera Chelbi. Au contraire, cela ouvrirait plutôt la voie « à éradiquer le racisme », a-t-elle dit, avant d’ajouter : « reconnaîtr­e que la loi 21 est discrimina­toire envers des minorités religieuse­s et sexiste envers certaines femmes ouvrira la voie au changement ».

« On ne peut pas attendre une évolution tranquille. Les communauté­s autochtone­s, noires, les minorités religieuse­s ne peuvent pas attendre une évolution tranquille », a soutenu quant à elle la militante pour les droits de la personne Ève Torres, en référence aux propos tenus la semaine dernière par M. Legault.

Selon le premier ministre, une « évolution tranquille » voudrait dire « qu’il faut que le Québec évolue, de la même façon qu’on a évolué pour que les francophon­es retrouvent leurs droits, pour que les femmes retrouvent leurs droits ». « Il est temps qu’on lutte contre le racisme, qu’il y ait une évolution plus rapide de ce côté-là », avait-il ajouté lundi dernier, promettant un plan pour bientôt.

La loi 21 ne protège pas l’identité québécoise, elle est créée pour faire du profilage religieux et racial

HANADI SAAD»

 ?? PHOTOS HUBERT HAYAUD LE DEVOIR ?? Au cours de la dernière année, l’organisme Justice Femme a recensé plus de 300 cas d’incidents et de crimes haineux visant des femmes voilées. La plupart de ces incidents n’ont pas été signalés à la police.
PHOTOS HUBERT HAYAUD LE DEVOIR Au cours de la dernière année, l’organisme Justice Femme a recensé plus de 300 cas d’incidents et de crimes haineux visant des femmes voilées. La plupart de ces incidents n’ont pas été signalés à la police.
 ??  ?? Les manifestan­ts se sont rassemblés devant le bureau du premier ministre à Montréal.
Les manifestan­ts se sont rassemblés devant le bureau du premier ministre à Montréal.

Newspapers in French

Newspapers from Canada