Le Devoir

Des constats accablants pour la protection du patrimoine

- Brigitte Caulier, Karine Hébert et Martin Pâquet Respective­ment présidente, viceprésid­ente et ancien président de l’Institut d’histoire de l’Amérique française

Le récent rapport de la vérificatr­ice générale du Québec (VGQ) contient des constats accablants concernant la protection du patrimoine immobilier et le rôle insuffisan­t du ministère de la Culture et des Communicat­ions (MCC) en la matière : manque de vision claire pour définir le patrimoine, soutien inadéquat aux municipali­tés à qui incombe une partie de la protection du patrimoine ainsi qu’aux propriétai­res de biens classés ou cités, absence d’outils de suivi, insuffisan­ce des inspection­s pour les biens classés, délais inacceptab­les dans le traitement des demandes de classement, manque de transparen­ce en ce qui concerne à la fois les critères de classement et les listes de biens à l’étude, problèmes de communicat­ion, etc.

Ces constats ne surprendro­nt pas ceux et celles qui s’intéressen­t au patrimoine ; ils ne font que confirmer une situation déjà dénoncée à de nombreuses reprises au moment de la destructio­n de bâtiments à caractère patrimonia­l à travers la province. Maison Livernois, maison Boileau, église Saint-Coeur-de-Marie, la liste est trop longue de lieux, protégés ou non, qui ont disparu au cours des dernières années. Les dénonciati­ons à cet égard se succèdent, sans résultat, depuis des décennies. Pourtant, la loi de 2012 sur le patrimoine culturel annonçait des jours meilleurs.

Le dur constat de la VGQ met en lumière le fait que les meilleures intentions du monde ne peuvent se concrétise­r sans ressources ni volonté politique. Or, il semble que les deux ont manqué depuis 2012, laissant entrevoir une insensibil­ité aux témoins du passé et une absence de reconnaiss­ance de l’expertise qui existe au Québec sur ces questions. Ces deux éléments interpelle­nt plus particuliè­rement l’Institut d’histoire de l’Amérique française (IHAF).

Le patrimoine culturel sous toutes ses formes, qu’il s’agisse des personnage­s, des lieux et des événements historique­s, des documents, des immeubles, des objets et des sites patrimonia­ux, des paysages ou du patrimoine immatériel, est un témoin du passé d’une collectivi­té. Résultat d’un dialogue social, il appelle une volonté de conservati­on, de mise en valeur et de transmissi­on. Il permet de donner du sens au passage du temps, d’ancrer une collectivi­té dans son histoire et d’offrir des référents mémoriels à partager.

Or, le rapport de la VGQ mentionne bien que le MCC « n’a pas défini sa vision en matière de patrimoine immobilier » (p. 13). Pourtant, cette tâche est inhérente à la mission constituti­ve du MCC qui doit « contribuer au rayonnemen­t de la culture […], à l’épanouisse­ment individuel et collectif de la population […] » (Mission et mandats, MCC) grâce à des actions en patrimoine, muséologie, lecture, médias, arts, etc. À notre avis, cette difficulté à investir le champ patrimonia­l témoigne entre autres d’un rapport malaisé au passé : difficulté à dégager l’importance et la diversité de ce qui nous vient du passé et à décider ce qui doit être conservé pour l’avenir. Soucieux de la place de l’histoire dans notre société, l’IHAF se préoccupe activement des dossiers qui concernent le patrimoine.

Par ailleurs, le rapport de la VGQ laisse dans l’ombre un élément qui, à notre avis, est un éléphant dans la pièce. La direction générale du patrimoine et les directions régionales du MCC ont connu des baisses d’effectifs majeures au cours des dernières années. La meilleure des lois sans ressources financière­s et humaines pour en assurer le suivi n’est qu’un acte de foi manqué.

Dans son oeuvre marquante intitulée Pour une politique, qui annonce la Révolution tranquille, Georges-Émile Lapalme, fondateur du MCC (autrefois appelé « Affaires culturelle­s »), faisait de la culture dans son sens large la manifestat­ion tangible de l’existence d’un peuple. Parmi les composante­s de cette culture se trouvaient entre autres les arts, les lettres, la langue, l’urbanisme et le patrimoine, le tout en étroite relation avec l’éducation. La fondation du ministère en 1961 découle directemen­t de cette vision et de celle d’un État québécois qui, seul, peut jouer ce rôle de leader rassembleu­r dans notre société.

De nombreux diplômés en histoire, en urbanisme, en archéologi­e, en histoire de l’art et en aménagemen­t pourraient apporter leur expertise au MCC et contribuer à la valorisati­on du patrimoine, à sa conservati­on et à sa connaissan­ce. Ces forces vives ne demandent qu’à être mises à contributi­on. Devant à la fois se montrer fidèle à la vision de Lapalme et montrer une véritable ouverture à tous les groupes qui ont contribué et contribuen­t à composer le Québec d’aujourd’hui, l’État doit se donner les moyens de jouer pleinement son rôle et de protéger adéquateme­nt notre patrimoine, part intégrante et marque distinctiv­e de la société québécoise. À la lecture du rapport de la VGQ, force est de constater que jusqu’à maintenant, le MCC, et donc l’État québécois, a failli à sa mission en matière de patrimoine.

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