Des constats accablants pour la protection du patrimoine
Le récent rapport de la vérificatrice générale du Québec (VGQ) contient des constats accablants concernant la protection du patrimoine immobilier et le rôle insuffisant du ministère de la Culture et des Communications (MCC) en la matière : manque de vision claire pour définir le patrimoine, soutien inadéquat aux municipalités à qui incombe une partie de la protection du patrimoine ainsi qu’aux propriétaires de biens classés ou cités, absence d’outils de suivi, insuffisance des inspections pour les biens classés, délais inacceptables dans le traitement des demandes de classement, manque de transparence en ce qui concerne à la fois les critères de classement et les listes de biens à l’étude, problèmes de communication, etc.
Ces constats ne surprendront pas ceux et celles qui s’intéressent au patrimoine ; ils ne font que confirmer une situation déjà dénoncée à de nombreuses reprises au moment de la destruction de bâtiments à caractère patrimonial à travers la province. Maison Livernois, maison Boileau, église Saint-Coeur-de-Marie, la liste est trop longue de lieux, protégés ou non, qui ont disparu au cours des dernières années. Les dénonciations à cet égard se succèdent, sans résultat, depuis des décennies. Pourtant, la loi de 2012 sur le patrimoine culturel annonçait des jours meilleurs.
Le dur constat de la VGQ met en lumière le fait que les meilleures intentions du monde ne peuvent se concrétiser sans ressources ni volonté politique. Or, il semble que les deux ont manqué depuis 2012, laissant entrevoir une insensibilité aux témoins du passé et une absence de reconnaissance de l’expertise qui existe au Québec sur ces questions. Ces deux éléments interpellent plus particulièrement l’Institut d’histoire de l’Amérique française (IHAF).
Le patrimoine culturel sous toutes ses formes, qu’il s’agisse des personnages, des lieux et des événements historiques, des documents, des immeubles, des objets et des sites patrimoniaux, des paysages ou du patrimoine immatériel, est un témoin du passé d’une collectivité. Résultat d’un dialogue social, il appelle une volonté de conservation, de mise en valeur et de transmission. Il permet de donner du sens au passage du temps, d’ancrer une collectivité dans son histoire et d’offrir des référents mémoriels à partager.
Or, le rapport de la VGQ mentionne bien que le MCC « n’a pas défini sa vision en matière de patrimoine immobilier » (p. 13). Pourtant, cette tâche est inhérente à la mission constitutive du MCC qui doit « contribuer au rayonnement de la culture […], à l’épanouissement individuel et collectif de la population […] » (Mission et mandats, MCC) grâce à des actions en patrimoine, muséologie, lecture, médias, arts, etc. À notre avis, cette difficulté à investir le champ patrimonial témoigne entre autres d’un rapport malaisé au passé : difficulté à dégager l’importance et la diversité de ce qui nous vient du passé et à décider ce qui doit être conservé pour l’avenir. Soucieux de la place de l’histoire dans notre société, l’IHAF se préoccupe activement des dossiers qui concernent le patrimoine.
Par ailleurs, le rapport de la VGQ laisse dans l’ombre un élément qui, à notre avis, est un éléphant dans la pièce. La direction générale du patrimoine et les directions régionales du MCC ont connu des baisses d’effectifs majeures au cours des dernières années. La meilleure des lois sans ressources financières et humaines pour en assurer le suivi n’est qu’un acte de foi manqué.
Dans son oeuvre marquante intitulée Pour une politique, qui annonce la Révolution tranquille, Georges-Émile Lapalme, fondateur du MCC (autrefois appelé « Affaires culturelles »), faisait de la culture dans son sens large la manifestation tangible de l’existence d’un peuple. Parmi les composantes de cette culture se trouvaient entre autres les arts, les lettres, la langue, l’urbanisme et le patrimoine, le tout en étroite relation avec l’éducation. La fondation du ministère en 1961 découle directement de cette vision et de celle d’un État québécois qui, seul, peut jouer ce rôle de leader rassembleur dans notre société.
De nombreux diplômés en histoire, en urbanisme, en archéologie, en histoire de l’art et en aménagement pourraient apporter leur expertise au MCC et contribuer à la valorisation du patrimoine, à sa conservation et à sa connaissance. Ces forces vives ne demandent qu’à être mises à contribution. Devant à la fois se montrer fidèle à la vision de Lapalme et montrer une véritable ouverture à tous les groupes qui ont contribué et contribuent à composer le Québec d’aujourd’hui, l’État doit se donner les moyens de jouer pleinement son rôle et de protéger adéquatement notre patrimoine, part intégrante et marque distinctive de la société québécoise. À la lecture du rapport de la VGQ, force est de constater que jusqu’à maintenant, le MCC, et donc l’État québécois, a failli à sa mission en matière de patrimoine.