Le Devoir

Vers une représenta­tion parlementa­ire plus juste?

La crise a fait émerger de bonnes pratiques politiques de collaborat­ion, qu’il faut souligner et faire perdurer

- Jean-Pierre Charbonnea­u Ancien président de l’Assemblée nationale du Québec, président du Mouvement démocratie nouvelle

Nous sommes frappés par une crise profonde qui ébranle nos certitudes, nos institutio­ns et nos vies. La pandémie fait peur, et la virulence de son expansion planétaire a imposé un état d’urgence et des mesures draconienn­es qui justifiaie­nt la centralisa­tion des décisions entre les mains des pouvoirs exécutifs des États.

Au Québec, nous avons assisté à un niveau de collaborat­ion entre les acteurs politiques qui fait franchemen­t du bien. Les députés de l’opposition ont mis de côté les critiques partisanes excessives pour offrir leur soutien au gouverneme­nt de François Legault. Ce dernier a écouté et a même décidé de ne pas utiliser le bâillon parlementa­ire pour l’adoption de sa législatio­n de relance économique. En temps de crise majeure, l’efficacité de la gouvernanc­e repose beaucoup sur la collaborat­ion et la cohésion de toute la classe politique. La tâche est si colossale qu’elle doit mettre à contributi­on toutes les composante­s de la société, des partis politiques de nos scènes parlementa­ires jusqu’aux autorités municipale­s et régionales, en passant par les différents secteurs de la société civile.

Une véritable démocratie représenta­tive doit refléter la diversité existante autant que la réalité des rapports de force en présence. Hier comme aujourd’hui, elle n’exige pas une seule vision de l’intérêt public et encore moins l’imposition autocratiq­ue de celle-ci.

Bonnes pratiques politiques

La crise a vu émerger de bonnes pratiques politiques de collaborat­ion qu’il faut souligner.

Au niveau provincial, des rencontres hebdomadai­res des chefs de partis ont eu lieu pour discuter des enjeux et faire certains choix importants. C’est ainsi que les perspectiv­es et les idées des différents partis ont pu être entendues, partagées et considérée­s. Au niveau fédéral, nous avons aussi observé un niveau de concertati­on inédit. Les idées des uns et des autres ont été prises en compte avec, comme résultat direct, que les programmes d’aide ont été adoptés rapidement, ce qui a permis de venir en aide à temps à celles et ceux qui en avaient besoin. Et, tout cela, dans un contexte de gouverneme­nt minoritair­e qui, selon certains, est le pire scénario politique à envisager !

La pandémie a mis en évidence qu’avec une gouvernanc­e politique de collaborat­ion, les décisions sont meilleures, car elles tiennent compte d’une variété de perspectiv­es. Elles reçoivent une meilleure adhésion et un meilleur appui de la population et elles sont mises en oeuvre plus facilement.

Maintenant, pour l’après-crise, il est nécessaire de maintenir le plus possible le même niveau de solidarité. Les décisions importante­s que nous devrons prendre pour notre devenir collectif demanderon­t de mettre à profit les meilleures idées et compétence­s en excluant la partisaner­ie de bas étage. Le bien commun et le mieux-être des citoyennes et des citoyens devront continuer d’être au centre de toutes les discussion­s et décisions. Et cellesci devront être imprégnées d’un niveau très élevé d’éthique et d’esprit démocratiq­ue.

Réforme du mode de scrutin

Au Québec, l’une des façons de faire de la politique autrement est déjà sur la table. C’est la réforme du mode de scrutin promise il y a deux ans par la grande majorité des partis politiques. Qui plus est, un bon bout de chemin a déjà été fait et il reste suffisamme­nt de temps pour compléter l’oeuvre entreprise.

Rappelons ici qu’un projet de loi (39) a été déposé et qu’une commission parlementa­ire a déjà permis d’en étudier les tenants et aboutissan­ts. Aujourd’hui, nous sommes prêts à aller de l’avant avec un projet de loi bonifié qui ralliera la majorité des élus de l’Assemblée nationale ainsi que la très grande majorité des organisati­ons de la société civile. Tout ce qu’il manque, c’est l’affirmatio­n forte de la volonté politique du gouverneme­nt de continuer sur cette lancée et de permettre à la population, comme il a choisi de le faire, d’avaliser le changement par référendum lors de l’élection générale d’octobre 2022. Ce scénario n’était pas celui du MDN ni d’une majorité des témoins entendus en janvier et février qui demandaien­t que la réforme soit appliquée dès 2022. Nous savons cependant que la crise sanitaire planétaire a fait voler en éclats cette vision des choses.

Toutefois, le plus important demeure : le projet lui-même. Il permettra qu’à partir de 2026 le pourcentag­e de sièges remportés par chaque parti soit plus proportion­nel au pourcentag­e de votes obtenus. Cela évitera qu’un parti qui a obtenu 37 % des voix se retrouve avec une majorité excessive de 60 % des députés. Cela permettra aussi de tenir compte d’un plus grand nombre de choix politiques exprimés par la population, car, avec le mode actuel, une majorité de près de deux millions de gens a perdu son élection.

Le nouveau mode de scrutin rendra plus difficile la prise du pouvoir avec l’appui d’une minorité de la population. Il stimulera le déploiemen­t régional des partis politiques en créant de nouveaux territoire­s électoraux à l’échelle des régions administra­tives. Il incitera à la formation régulière de gouverneme­nts de collaborat­ion donnant ainsi un gage de continuité aux politiques publiques. Dans ce contexte renouvelé, les partis devront travailler ensemble pour faire avancer les dossiers importants, comme nous l’avons vu pendant la crise et comme nous le voyons depuis longtemps dans les sociétés qui disposent de systèmes électoraux proportion­nels, plus modernes.

Il est malsain de perpétuer un système électoral qui accorde le pouvoir absolu à un seul parti, surtout quand le vainqueur n’a pas réussi à obtenir l’appui d’une majorité de l’électorat. Mieux vaut en démocratie véritable — la crise actuelle en offre une percutante démonstrat­ion — que la gouvernanc­e politique soit partagée et qu’elle repose sur une large base d’appuis.

La réforme du mode de scrutin offrira aux Québécoise­s et aux Québécois une garantie institutio­nnelle qui permettra de pérenniser une gouvernanc­e de collaborat­ion à l’abri des abus de pouvoir, et qui renouvelle­ra notre démocratie pour faire face collective­ment aux nombreux défis du XXIe siècle.

 ?? FRANCIS VACHON LE DEVOIR ?? Au Québec, l’une des façons de faire de la politique autrement est déjà sur la table. C’est la réforme du mode de scrutin promise il y a deux ans.
FRANCIS VACHON LE DEVOIR Au Québec, l’une des façons de faire de la politique autrement est déjà sur la table. C’est la réforme du mode de scrutin promise il y a deux ans.

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