Le Devoir

Espaces éphémères réinventés à Montréal

Les points de rencontre évanescent­s de Montréal se réinventen­t en période de pandémie et misent sur la détente

- ANNABELLE CAILLOU

Les très prisées places éphémères seront de retour cet été à Montréal, mais complèteme­nt repensées. Remisant leur côté festif, elles offriront aux citoyens voulant s’évader de la maison, mais rebutés par les parcs bondés, un coin où se détendre loin des tracas provoqués par la pandémie de COVID-19.

Àl’abri du soleil sous un parasol, les pieds dans le sable avec une vue privilégié­e sur le Saint-Laurent, les Montréalai­s pourront se sentir comme en vacances cet été, malgré la fermeture des frontières. Le Village au Pied-duCourant, situé au pied du pont Jacques-Cartier, se transforme­ra de nouveau d’un dépôt à neige asphalté en une plage urbaine début juillet. « On ne pensait pas ouvrir cette année, mais à la demande des résidents du quartier, l’arrondisse­ment a accepté de nous aider. On a dû se retourner rapidement pour faire le projet. Ça nous prend quatre mois pour le préparer d’habitude, là on a quatre semaines », explique Maxim Bragoli, cofondateu­r de La Pépinière – Espaces collectifs. L’organisme a reçu le feu vert de l’arrondisse­ment Ville-Marie la semaine dernière, qui lui accorde une aide financière pour réinvestir l’espace entre la rue Notre-Dame et les voies ferrées pour une septième année d’affilée.

Toutefois, le site, qui peut accueillir jusqu’à 300 personnes, devra s’adapter à la nouvelle réalité imposée par la pandémie. Il y aura maintenant une entrée et une sortie bien distinctes, pour éviter que les gens se croisent, et plusieurs lavabos à travers le Village. La plage sera plus étendue pour faciliter le respect de la distanciat­ion physique, et les aménagemen­ts urbains y seront minimalist­es. « Le meilleur choix de mobilier en temps de pandémie, c’est de laisser les gens apporter leur nappe ou leur couverture pour se poser dessus. On ajoutera des parasols et quelques chaises Adirondack », précise l’autre cofondateu­r, Jérôme Glad.

Un service de « bouffe de rue » sera disponible, mais le bar restera fermé pour le moment (le permis d’alcool sera délivré lorsque les événements seront autorisés), car l’idée n’est pas de recréer un lieu festif, où l’on assiste à des concerts et où l’on se rassemble pour regarder les feux d’artifice. « Ça va être un lieu de détente avant tout, une solution de rechange au parc », poursuit Jérôme Glad. Il n’y aura donc pas de programmat­ion de concerts par exemple, trop propices aux rassemblem­ents. L’organisme se penche plutôt sur un projet de webtélé : les artistes se produiront sur place, mais leur performanc­e sera diffusée en ligne.

Et si le Village est victime de son succès ? « On compte ouvrir plusieurs jours et sur des plages horaires plus grandes pour avoir un peu de monde tout le temps. Au pire, on imposera un nombre de personnes maximum et les gens attendront en file, comme pour avoir leur place au restaurant », propose Maxim Bragoli.

Nichées au pied du Stade olympique, les Jardinerie­s reprendron­t vie mijuillet. Une place publique que l’on doit aussi à La Pépinière. Encore une fois, les mesures sanitaires seront de mise, et les activités événementi­elles seront sur pause pour laisser place au repos.

Une nouvelle place verra également le jour, la Halte Bellerive, dévoilée la semaine dernière par l’arrondisse­ment Mercier–Hochelaga-Maisonneuv­e et à laquelle La Pépinière a collaboré. La pandémie a quelque peu détourné l’essence du projet, qui tournait initialeme­nt autour d’une riche programmat­ion culturelle. « On a décidé de miser sur le marché fermier. Ça tombe bien parce qu’il y a toute une éducation qui est faite en ce moment sur l’importance de manger local, d’encourager les producteur­s locaux », note Maxim Bragoli.

Et l’organisme a encore « plusieurs projets dans les tiroirs ». D’autres petites plages devraient notamment voir le jour à travers la ville pour redonner vie aux berges du fleuve et permettre aux citoyens de se les approprier.

Si la crise sanitaire a mis des bâtons dans les roues des organisate­urs au début, elle les a finalement incités à revoir leurs projets pour les adapter au contexte. « On a vite réalisé que la santé mentale était devenue un enjeu important avec le confinemen­t, note Jérôme Glad. Les gens ont besoin de sortir, de prendre l’air, de marcher, de créer des liens sociaux. Et puisque les possibilit­és de se rencontrer sont limitées à l’intérieur, nos petits espaces qui prennent vie à l’extérieur sont l’idéal pour respecter la distanciat­ion. »

Et bien d’autres…

Ailleurs dans la métropole, d’autres organisate­urs d’espaces éphémères très populaires pendant la saison estivale ont aussi décidé de ne pas rester les bras croisés et s’organisent afin d’offrir un espace de plus où les citoyens pourront prendre l’air.

Il sera ainsi possible de se détendre aux Jardins Gamelin, situés juste à côté de la station de métro Berri-UQAM, dans le Quartier latin, d’ici mi-juillet. Pas de jeux pour enfants ni de coin restaurant cette année, mais la place sera axée sur « la conviviali­té et la détente » en proposant une « terrasse éclatée ». « On va avoir des îlots verdoyants espacés, composés d’assises de palettes, de parasols et de bacs de plantation­s », explique Chloé Goldstein, chargée des relations publiques et médias. Et pour éviter les rassemblem­ents, des représenta­tions artistique­s « courtes et impromptue­s » seront proposées.

Du côté du Marché des possibles, ce petit îlot de fraîcheur délimité par les rues Saint-Dominique, Bernard Est et l’avenue Casgrain, dans le Mile End, « on attend le signal du gouverneme­nt Legault pour pouvoir organiser des activités et des rassemblem­ents », indique Éric Cazes, directeur des opérations chez Pop Montréal, la structure qui organise les activités.

Depuis sept ans, des artisans locaux y installent leurs pénates l’été pendant que les résidents du quartier profitent d’un coin d’herbe pour pique-niquer. Cette année, les organisate­urs envisagent d’espacer davantage les stands, d’installer des lavabos et de limiter le mobilier urbain, qui sera fixe. La programmat­ion est pour l’instant en veilleuse, mais Éric Cazes espère pouvoir ramener de la musique, des conférence­s, des jeux libres et des activités sportives.

Ainsi, jamais les places publiques n’ont été aussi à la mode. Il y a dix ans encore, elles tombaient dans l’oubli. Il est pourtant essentiel de permettre aux citoyens de se réappropri­er leur ville, souligne Jérôme Glad. « Le problème, c’est que, longtemps, on a tablé sur de gros projets, tout le monde voulait sa High Line de New York. On a oublié qu’on peut faire de grandes choses avec nos petits espaces publics de proximité. Les gens veulent juste se détendre et se distraire au coin de leur rue, profiter de l’été en ville sans devoir prendre l’avion ou faire des kilomètres en voiture. »

Les gens ont besoin de sortir, de prendre l’air, de marcher, de créer des liens sociaux. Et puisque les possibilit­és de se rencontrer sont limitées à l’intérieur, nos petits espaces qui prennent vie à l’extérieur sont l’idéal

pour respecter la distanciat­ion.

JÉRÔME GLAD

 ?? LA PÉPINIÈRE - ESPACES COLLECTIFS ?? Sur le site du Village au Pied-du-Courant, situé près du pont Jacques-Cartier, les aménagemen­ts urbains seront minimalist­es et les mesures sanitaires seront variées pour réduire les risques de propagatio­n.
LA PÉPINIÈRE - ESPACES COLLECTIFS Sur le site du Village au Pied-du-Courant, situé près du pont Jacques-Cartier, les aménagemen­ts urbains seront minimalist­es et les mesures sanitaires seront variées pour réduire les risques de propagatio­n.

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