La vie est un cercle
« Nous avons été longtemps analysés, sans que jamais personne ne se donne la peine de tenter de nous connaître », constate Naomi Fontaine dans son récit Shuni, dans lequel elle prend la plume pour écrire à Julie, la fille d’un pasteur qui revient habiter dans la communauté innue d’Uashat après y avoir passé son enfance. L’échange épistolaire qui s’ensuit est une magistrale leçon d’ouverture à l’autre, de tendresse et de bienveillance, où Julie sera rebaptisée Shuni, selon la prononciation en innu-aimun.
Avec sagesse et lucidité, Naomi Fontaine décrit à sa destinataire (qui devient rapidement un double du lecteur) la vision du monde de sa communauté : « la vie est un cercle », répète-t-elle souvent, par opposition à la vision linéaire des Occidentaux. Nous rencontrons ainsi les membres de sa communauté à travers les yeux absents de tous préjugés de l’autrice. Ses phrases simples mais poétiques nous présentent par exemple la sagesse de ses ancêtres, l’entraide au sein de la grande famille innue et la résilience d’un toxicomane soigné puis déchu.
Cette vivacité des descriptions permet à Naomi Fontaine de nous emporter au coeur de sa communauté innue et de la présenter au-delà des statistiques et des stéréotypes physiques. À cette dimension collective s’ajoute une portion de réflexions intimes présentant l’autrice à l’extérieur de la réserve ou avec son fils, Marcorel, surnommé Petit Ours.
Sans minimiser les épreuves vécues par la communauté innue ni les accrochages culturels, Naomi Fontaine dénonce la colonisation sans colère, tentant plutôt de présenter objectivement le doute de soi ainsi que les ravages identitaires instaurés par les relations entre les Autochtones et les Blancs. Malgré le passé cruel, ce livre lumineux propose une vision de la liberté aux nuances innues.
Son histoire encourage donc les lecteurs à avoir l’écoute facile et le jugement absent afin d’attraper la main qu’elle tend vers la réconciliation, à l’image du panneau à l’entrée de la réserve : « Les Innus vous souhaitent la bienvenue dans la communauté de Uashat. Tshiminu-takushinau ute Uashat mautania innit. » J’invite donc de nombreux lecteurs à accepter à leur tour le chaleureux accueil et à entrer dans le cercle.