Dissection de la honte
« Comment suis-je devenue moi-même ? » Alexie Morin, dans Ouvrir son coeur, nous livre sa vie en fragments érodés par le temps et la honte, celle qui enfouit les instants où la peur se révèle impossible à dissimuler. Dans cet univers de perceptions, elle nous raconte toute la vérité, la sienne, parce que le cerveau humain n’a pas la capacité de contenir les moments et les gens, il conserve les sensations, la teneur des sentiments.
Chaque page est tapissée de vulnérabilité : malgré cette peur omniprésente, l’autrice va complètement à l’encontre de tout instinct de conservation et s’abandonne avec une franchise qui ne dérange sans doute pas seulement les plus pudiques. Elle bouscule les conventions qui n’aiment pas voir les faiblesses étalées sur la place publique, et c’est rafraîchissant.
C’est une oeuvre on ne peut plus personnelle, mais aux thèmes universels. Plusieurs se reconnaîtront dans cette petite fille plutôt antipathique qui représente tout le contraire de ce qu’on attend d’une petite fille, d’une future femme. Ils se retrouveront dans sa honte, sa peur, sa tristesse, sa colère, son ressentiment et sa méfiance.
Ouvrir son coeur a une portée féministe importante. Le récit lance une discussion sur les diagnostics tardifs et en nombre insuffisant des filles TDAH (trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité). C’est une conversation que l’on doit avoir parce que cette situation trouve écho dans la manière dont on évalue et traite les filles ainsi que les femmes souffrant de plusieurs autres « troubles » psychologiques et parce que le problème a tout à voir avec la manière dont on éduque encore les filles aujourd’hui.
Un scalpel à la main, Alexie Morin ouvre son coeur et, au passage, celui de ses lecteurs. De ces coeurs, elle extrait les boîtes à chaussures débordantes de souvenirs bien cachées au fond de nos placards et les enfants blessés que l’on continue à traîner partout avec nous sans jamais les guérir. L’expérience ne peut qu’être inconfortable, mais, parfois, au détour d’une page, toute cette sincérité et cette générosité nous étreignent chaleureusement, sans ménagement.